Ali



Comme la plupart des films de Michael Mann, Ali mêle l’intimisme et le spectaculaire, la tension dramatique et l'obsession du réalisme, la pertinence du regard et l’expérimentation formelle débridée. Portées par une maîtrise narrative et rythmique peu commune, les virtuoses dix premières minutes donnent le ton : Mann y juxtapose différentes étapes de la vie d'Ali de manière impressionniste, presque musicale -Ali s'entraînant dans la rue, Ali combattant, Ali enfant qui découvre, à la Une d'un journal, la photo du corps d'un noir lynché... Certains aspects de la vie d'Ali sont certes évoqués d'une façon très allusive (les relations du champion avec Malcom X, sa conversion à l'Islam...), rendant difficile la pleine compréhension des enjeux pour qui n'a pas un minimum de connaissances sur le sujet. Mais le film n'aspire pas à l'exhaustivité. Il est guidé par une seule intention, résumée par Mann lui-même : "vous faire pénétrer dans le personnage". "Je voulais raconter l’intérieur de Ali", expliquait le réalisateur en 2002 dans le n°28 de feu DVD Vision. "Je voulais l'accompagner dans son expérience, débusquer l’homme lorsqu’il quitte la scène. Illustrer le passage perpétuel de l’homme privé, réfléchi, renfermé, au "performer". On était à la recherche de ce qui était réellement "révélateur" de cette double personnalité".

C'est la vigueur et la puissance esthétiques du film qui se chargeront d'impliquer émotionnellement les spectateurs éventuellement déroutés par les choix scénaristiques. Reprenant en partie le style nerveux du premier segment de Révélations, où les tiraillements intérieurs de Russell Crowe étaient exprimés par des cadrages très serrés et complexes, la mise en scène d'Ali est d'une formidable sophistication. Chaque plan est plastiquement sidérant : angles fous (notamment lors des magistrales scènes de combat où des mini-caméras sont sporadiquement fixées aux têtes des boxeurs) ; photo audacieuse qui ne cesse de se réinventer radicalement selon la nature de la scène ; et toujours cette manière, caractéristique du cinéaste, de construire des plans précisément organisés sans être réfrigérants, des plans vivants, sensuels, faussement hésitants et qui respirent, des plans structurés dans le mouvement -quand bien même la caméra est très mobile, dynamique et souvent vacillante. Pour apprécier Ali, il n'est ainsi pas nécessaire d'être fasciné par le noble art, ni même par Muhammad Ali. Il suffit, simplement, d'aimer le cinéma. D'aimer les histoires fortes racontées avec justesse sous forme d'image et de son.

Pierre Gaultier


Fiche technique

- Origine : Etats-Unis - Couleurs - 2 h 38 mn.
- Date de sortie France : 27 février 2002.
- Production : Peters Ent. et Forward Pass.
- Réalisateur : Michael MANN.
- Scénario : Stephen J. RIVELE, Christopher WILKINSON, Eric ROTH et Michael MANN.
- Casting : Will SMITH, Jamie FOXX, Jon VOIGHT, Mario VAN PEEBLES...
- Musique : Lisa GERRARD et Pieter BOURKE.
- Box-Office France : en cours d'exploitation.
- Sortie DVD : août 2002.
- Lien Internet : http://www.bacfilms.com/site/ali

"A l'image de Révélations, Ali trouve le parfait équilibre entre valeur documentaire et extraordinaires qualités formelles"