Batman
la série animée

Septembre
1992. Le premier épisode de ce qui va devenir la série animée la plus
importante et la plus influente de la décennie est diffusé aux Etats-Unis
sur la chaîne Fox Kid. Le générique à lui seul est déjà absolument phénoménal.
La caméra caresse une Gotham City insondable, seulement éclairée par
les spots de gigantesques dirigeables de surveillance. Des bandits font
exploser une banque, fuient avec leur butin devant les sirènes de police,
grimpent sur un building pour y chercher refuge alors qu'en parallèle,
la batmobile démarre en trombe et se rend sur les lieux du méfait. Une
ombre monolithique se met en travers du chemin des malfrats, les dévisage
de ses yeux blancs et implacables, se jette sur eux, les désarme et
les ligote. Les uniformes arrivent enfin sur les lieux. Sur un immeuble
alentour, Batman se tient debout, inflexible, la cape au vent. Un éclair
déchire le ciel, soulignant sa silhouette menaçante. Le découpage au
millimètre, les couleurs en demi-teintes magnifiquement réparties, l'extrême
stylisation des personnages et des décors, la prestance et la fluidité
de l'animation, le stupéfiant travail de synchronisation entre la musique
symphonique et l'image participent de partis-pris artistiques radicaux
et matures qui impulseront un authentique renouveau dans les séries
animées yankee. Dans les années consécutives au succès de Batman, de
nombreuses autres séries -Spawn, Men in black, Daria...- adopteront
cette même optique sans concession, les studios ayant repris confiance
en un support jusqu'alors en léthargie commerciale et créative.
Les trois chevilles ouvrières
de cette impériale adaptation animée de l'homme chauve-souris sont Bruce
TIMM (dessinateur/story-boarder), Paul DINI (scénariste) et Eric RADOMSKI
(décorateur), trois virtuoses qui avaient travaillé sur Tiny Toons pour
la Fox, mais qui n'y avaient pas trouvé le parfait support à leur ambition
-euphémisme. Dès le début de leur implication dans le projet Batman,
tous trois avaient déjà une idée très précise de ce qu'ils voulaient
faire.
SOMBRE
ELEGANCE
Paul DINI se souvient
: "Bruce [TIMM] voulait faire une série très sombre et nerveuse,
où il reprendrait le look des personnages pour l'affiner jusqu'au strict
minimum. Eric voulait faire quelque chose qui soit situé dans un monde
cauchemardesque, cartoonesque -très stylisé, très rétro, très proche
de l'Art Déco. Ces deux approches se mélangeaient parfaitement".
Et en effet, le moins que l'on puisse dire est que la série possède
une unité et une élégance graphiques remarquables. Pénétrante, l'atmosphère
de Batman tient à la fois du film noir -les épisodes A bullet for Bullock
ou It's never too late en sont de beaux exemples-, du comic-book évidemment
-on pense bien sûr au Dark Knight de Frank MILLER, dont une adaptation
est même réalisée dans un épisode à sketches de la dernière saison-
et du cinéma expressionniste allemand des années vingt, dont le Metropolis
de Fritz LANG est l'un des plus connus et appréciés manifestes -dans
Batman, le soin porté à l'équilibre entre zones d'ombre et zones de
lumière, le souci d'intensité dans les cadrages, la composition et le
jeu des personnages, les décors aux perspectives vertigineuses et fuyantes
sont autant de signes de cette inspiration majeure. Les créateurs de
la série ne cachent pas non plus leur admiration pour les monstres de
la BD américaine que sont John BYRNE, Stan LEE, Alex TOTH ou Jack KIRBY.
Et, comme beaucoup d'autres animateurs, Bruce TIMM ne tarit pas d'éloges
à propos de MIYAZAKI : "Son sens de la narration est simplement incroyable.
Ses films sont très clairs. Il utilise le bon angle de caméra et la
bonne posture au bon moment". A cet égard, TIMM n'a pas à rougir
de la comparaison avec le maître japonais : l'une des grandes forces
des récits de Batman réside précisément dans leur fausse simplicité.
TROUBLANTE HUMANITE
Comme tous les
bons scénaristes, DINI trouve dans son expérience personnelle la matière
à ses histoires et ses personnages. "Quand vous écrivez, vous puisez
vraiment votre inspiration dans la vie réelle, jusqu'à un certain degré.
Je crois qu'il est très important de regarder autour de vous. Vous prenez
ce qui est à l'origine un fait réel, et vous l'insérez dans le domaine
du fantastique. Ainsi, tout le monde peut se sentir concerné par l'histoire.
Cela n'a pas d'importance si ce sont des super-héros ou des animaux
rigolos qui font face à des problèmes réels ; si votre histoire est
mise en mouvement par des enjeux émotionnels, alors c'est une bonne
histoire et n'importe quel personnage peut potentiellement la jouer,
que ce soit un toon ou un véritable acteur". S'il y a bien quelque
chose que Batman prouve avec éclat, c'est que l'animation sait transmettre
un sentiment et créer un lien affectif avec le public au moins autant
que le cinéma -des épisodes marquants comme Over the edge, Never fear
ou I am the night sont habités par une charge dramatique absolument
saisissante.
Cette attention à la psychologie
et aux rapports humains donne à Batman une vérité, une consistance et
un impact formidables. Paul DINI vise juste. Comme dans le Batman Returns
de Tim BURTON, avec lequel il est impossible de ne pas faire le rapprochement,
le manichéisme est écarté au profit de personnages tout en nuances,
mus par de réelles motivations, pathétiques,
souvent tiraillés entre leur part restante d'humanité et leur monstruosité
apparente. Paul DINI explique : "J'ai essayé de repenser les personnages
pour leur donner quelque chose d'humain, donc Mister Freeze est devenu
ce type torturé qui essaie de sauver sa femme mais qui se heurte à la
bureaucratie. Je crois que les ennemis de Batman sont vraiment consumés
par leur douleur intérieure, et cette douleur stimule en quelque sorte
leur sens du théâtral et leur cruauté. J'ai essayé de trouver la manière
dont les gens ressentent de la tristesse, du chagrin, de l'amertume
ou de la colère dans leur vie, et comment cela se manifesterait s'ils
devenaient des super-criminels. Ce sont les émotions qui créent le pouvoir
des personnages de dessins animés, et c'est ce qui m'a le plus importé
dans cette série, non seulement pour les méchants, mais aussi pour Batman
lui-même. En fait, j'ai pensé les personnages comme s'ils étaient réels".
Bruce TIMM ajoute : "La beauté d'une série comme Batman est que vous
pouvez vraiment plonger dans un personnage, dans sa personnalité".
En six ans et trois saisons, les
auteurs de Batman ont creusé, développé, approfondi leurs personnages
au point de les rendre palpables. Bruce TIMM, Paul DINI et leur équipe
sont parvenus à donner une chair, une densité, une vie autonome à leurs
personnages. Ils ont tout bonnement réussi à faire oublier la facticité
même de l'univers de Batman. C'est ce à quoi aspire tout animateur,
et c'est ici un aboutissement total.
Pierre Gaultier
Interviews de Bruce Timm et Paul Dini extraites des sites animation
world network et critical
eye.
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"Si
votre histoire est mise en mouvement par des enjeux émotionnels, alors n'importe
quel personnage peut la jouer, que ce soit un toon ou un véritable acteur"
Paul
Dini
"Les
ennemis de Batman sont vraiment consumés par leur douleur intérieure. J'ai
pensé aux personnages comme s'ils étaient réels"
Paul
Dini
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