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John Lasseter



John LASSETER est un grand enfant. Avec les yeux d'un gosse et l'expérience d'un adulte, il nous fait partager ses rêves les plus fous et perpétue l'esprit d'innovation propre au studio Disney. C'est certain : John n'a jamais grandi. Et comme chez Frames on est aussi de grands enfants, on l'aime bien, le John...


UN DESTIN HORS DU COMMUN

Le 25 mars 1996, John LASSETER reçoit un Academy Award pour son inspiration et sa réussite au sein de l'équipe de Pixar responsable de Toy Story, tout premier long métrage intégralement réalisé en images de synthèse. Cette récompense n'est pas la première du bonhomme. Si l'on remonte à sa tendre enfance, on pourra même noter qu'il reçut son premier prix à l'âge de 5 ans, lorsqu'il gagna 15 $ avec le Model Market situé à Whittier (Californie), pour un simple dessin crayonné ! On pourrait même estimer que sa carrière coïncide avec ce premier prix honorifique...

John LASSETER naît à Hollywood en 1957 (il semblait donc prédestiné) et passe sa jeunesse à Whittier, où sa mère est professeur de dessin. Encore jeune, il s'intéresse à l'animation et se passionne vite pour ce domaine, au point qu'il s'initie durant ses études secondaires à la peinture et au dessin.

Deuxième étudiant inscrit aux cours d'initiation de la CalArts (créé par Disney, ce centre prétend enseigner l'art, le design et la photographie), il poursuit sa formation artistique pendant quatre années et réalise au cours de cette période deux petites productions animées : Lady and the Lamp (1979) et Nightmare (80), qui remporteront chacun l'Oscar du Meilleur film d'étudiant (et les récompenses continuent de pleuvoir...). Après quelques stages d'été au sein-même de la structure Disney, John obtient en 79 un emploi permanent au département animation du studio. Là, pendant ses cinq années de collaboration 'anonyme' au studio, il interviendra notamment sur Rox et Rouky (The Fox and the Hound) et le Noël de Mickey (Mickey's Christmas Carol).

Le reste est désormais bien connu : inspiré par les séquences infographiques de Tron, il sent qu'il y a là matière à explorer ce nouveau domaine, et n'hésite pas à s'y essayer en signant, avec son collègue Glen KEANE, une brève esquisse d'à peine trente secondes, inspirée du livre de Maurice SENDAK, Where the Wild Things Are.

1984, LASSETER rejoint LucasFilm et son département infographique, Pixar, fondé par Ed CATMULL, rejoint en 86 par Steve JOBS (un rescapé d'Apple). Après un premier court-métrage (The Adventures Of Andre And Wally B. -84) qui utilise avec brio une technique testée pour l'occasion -le motion-blur-, John devient rapidement une figure-clef de la structure, et, en étroite collaboration avec Bill REEVES (réalisateur et superviseur technique), met au point un court-métrage avec deux protagonistes pour le moins incongrus : deux lampes de bureau ! Luxo Jr., court-métrage nominé aux Oscars 86, sera suivi par d'autres courts-métrages lui permettant d'expérimenter chaque aspect de l'imagerie numérique. Red's Dream (87), Knick Knack (89) seront salués par la critique, et un Oscar (encore un) viendra même couronner la réalisation de Tin Toy (88), dans la catégorie Meilleur Court-Métrage d'Animation. Dans ce laps de temps couvrant la première moitié de la décennie 80, John LASSETER signera le design et l'animation de l'épisode Le secret de la pyramide de la série Young Sherlock Holmes (85), production signée Steven SPIELBERG.



The Adventures Of Andre And Wally B. (1984)

Auteur de nombreux courts-métrages et spots publicitaires (dont la plupart cités ou récompensés d'un Oscar), John LASSETER se fera alors un nom auprès du grand public pour la réalisation, au sein de Pixar, de Toy Story, premier long métrage d'animation en images de synthèse de l'Histoire du cinéma, par ailleurs couvert d'une pluie de récompenses et/ou de nominations (notamment l'Oscar du Meilleur scénario original). Trois ans plus tard il persiste et signe avec un deuxième film, 1001 pattes, divertissement intelligent qui met d'accord critique et public. Co-réalisateur de Toy story 2 puis producteur de Monstres & Cie (de Pete DOCTER), John LASSETER devient un vrai businessman, mais refuse de se prendre au sérieux, symbolisant de façon éclatante l'accomplissement du rêve américain.

Lui et sa femme Nancy ont cinq enfants et vivent actuellement au Nord de la Californie. Sa réussite est si fulgurante qu'il occupe dorénavant le poste de vice-président du service création de Pixar ! Fin 2001, Steve JOBS reconnaissait que "la plupart des gens sentent que LASSETER est le digne successeur de Walt DISNEY, un génie à part entière et le SPIELBERG de l'animation". Mais à quoi bon tenter une comparaison avec ses pairs, aussi flatteuse puisse-t-elle être... ? John LASSETER jouit d'un statut unique, et son univers nous rappelle que l'enfance est le plus précieux moment de la vie, le plus fragile aussi. Et qu'il serait donc dommage de le délaisser...


LASSETER : L'INTERVIEW

De nature enjouée, le bonhomme ne manque aucune occasion de parler de ce qu'il sait faire le mieux : des films d'animation. Grand bien lui fasse puisque nous autres fans n'attendons justement que cela ! Frames a retenu quelques-unes de ses nombreuses interventions, et les retranscrit ici. Pour davantage d'analyses sur le processus de création des films Pixar, il reste à vous tourner vers les suppléments DVD des longs métrages en question, d'une exhaustivité vertigineuse (indispensable : le coffret Toy Story Anthologie, bible d'informations).

L'origine d'une passion

- "J'ai grandi dans une banlieue de Los Angeles appelée Whittier, et c'est vrai, j'avoue, j'ai toujours été un inconditionnel des dessins animés. Et je vous parle d'une époque bien antérieure à la vidéo ou aux chaînes pour enfants 24 h/24. Je me souviens combien fébrilement j'attendais le samedi matin, quand je revenais de l'école, pour me mettre devant la télé et regarder les dessins animés de la Warner, surtout ceux de Chuck JONES (...). J'avais peut-être 12, 13 ans, et j'ai donc commencé à envoyer des lettres et des dessins aux studios Disney, en leur disant que je voulais travailler pour eux plus tard. Mes parents me soutenaient, ils avaient très vite compris que c'était une ambition très honorable."

Un grand enfant qui s'assume !

Sa rencontre avec Tim BURTON

- "Avant qu'il ne participe comme moi à Rox et Rouky, nous avions passé trois ans ensemble à CalArts. Il était de la promo suivante, mais les classes étaient mélangées. Donc je le connaissais déjà très bien quand je me suis retrouvé chez Disney, et d'ailleurs mon bureau était presque en face du sien quand il a réalisé son premier court-métrage, Vincent."

Le "déclic" Tron

- "On m'a montré des travaux préparatoires très en amont dans la production, et ce que j'ai vu concernant les images assistées par ordinateur m'a rendu fou de bonheur ! Disons que je n'étais pas tant bouleversé par ce que j'avais sous les yeux que par les possibilités techniques que je pressentais. Si l'on se penche sur l'historique du dessin animé chez Disney, le défi constant a toujours été d'en amplifier la dimension visuelle. L'utilisation de la caméra multi-plans a été un grand progrès en ce sens, mais évidemment, devant les possibilités offertes par l'animation informatisée, cela prenait encore une nouvelle tournure. J'ai compris que je touchais à quelque chose d'essentiel dans l'animation, quelque chose que j'avais toujours attendu : la sensation tri-dimensionnelle."

Star Wars ? Cool ! Mais...

- "J'étais là, en 1977, quand Star Wars est sorti (...). Le souvenir que j'ai de cette première vision du film, c'est qu'aucun autre film ne m'avait procuré un tel sentiment de bonheur, de plaisir et de jouissance visuelle mêlés. Et le public autour de moi, qu'il s'agisse d'adultes ou de gosses, était dans le même état de semi-transe, c'était fabuleux ! Nous découvrions quelque chose de complètement nouveau, de terriblement excitant. Beaucoup de mes confrères ont décidé, à ce moment-là, de se tourner vers les effets spéciaux en live, mais moi, je restai viscéralement attaché à l'idée que l'animation pourrait un jour atteindre un tel niveau d'entertainment. J'étais un pur !"

Luxo Jr. -l'idée de base

- "Après André & Wally B., j'ai décidé d'apprendre la programmation afin de savoir vraiment modeler informatiquement des personnages en plus de les dessiner et de les animer. Dans un premier temps, j'ai donc dû me contenter de formes géométriques simples, et à l'évidence la lampe de mon bureau, que j'avais toujours sous le nez, était mon modèle le plus simple et le plus accessible entre tous ! (rires) Je la mesurais à la règle, je rentrais les données dans l'ordinateur, c'était très pratique. Au même moment, un de mes collègues avait eu un bébé, qu'il amenait de temps en temps au bureau, et je jouais beaucoup avec lui. Ce que j'adore avec les bébés, c'est que leurs proportions corporelles sont différentes de celles des adultes, et cela m'a donné l'idée de créer un bébé lampe pour travailler sur cette déformation des proportions."

Le syndrome Blanche-Neige, bis repetita

- "Ma plus grande fierté reste encore et toujours la fabrication de Toy Story. Il faut bien que vous compreniez qu'à ce moment-là, tout le monde nous prenait pour des cinglés. "Non mais vous croyez vraiment que des gens vont rester assis pendant une heure trente devant des images générées par ordinateur ?" C'était intéressant d'entendre cela, parce que ça me rappelait exactement tout ce qui avait été dit à Walt DISNEY pendant qu'il faisait Blanche-Neige. Nous étions ignorants, d'une certaine façon, mais je bénis cette ignorance parce que si nous avions su à quelles difficultés nous allions être confrontés, est-ce que nous nous serions lancés dans l'aventure ? Nous avons dû concevoir tellement de choses qui n'existaient pas alors..."

Le processus de création et les influences de 1001 Pattes

- "Notre ambition avec 1001 Pattes était de faire une épopée... sur 20 mètres carrés ! Tout commence en fait par une énorme quantité de recherches (...). Une cellule spéciale de Pixar a été en charge de potasser sur toutes sortes d'insectes. Nous avons mis au point une caméra spéciale, minuscule et montée au bout d'un bâton, la Bug-Cam, ou "camérinsecte", qui a permis de filmer et d'observer toutes sortes d'insectes dans leur habitat naturel, au plus près. On a aussi consulté des tas d'ouvrages et de livres d'entomologie, et visionné des documentaires comme Microcosmos ainsi que nombre de films, notamment Witness, dont la séquence d'assemblage de la grange nous a inspiré pour celle du faux oiseau destiné à faire peur aux sauterelles. Pour les scènes de cirque, nous avons regardé Sous le plus grand chapiteau du monde et certains films de FELLINI. J'ai aussi emmené mon équipe assister à une représentation de cirque ambulant qui s'était installé tout près. Les hommes qui avaient monté la tente le matin étaient les mêmes qui assuraient le spectacle le soir. Les animaux étaient faméliques et pelés. C'était plutôt sordide et ça nous a aussi inspiré sur certains aspects..."

John LASSETER, unique réalisateur attitré chez Pixar ?

- "Il faut quatre années pleines pour faire un film chez Pixar, de sa conception à sa sortie en salles. L'idée est d'en diriger un chacun son tour, ou en équipe, que ce soit Pete DOCTER [Monstres & Cie], Andrew STANTON [Le Monde de Nemo], moi et maintenant Brad BIRD [Les Incroyables, à sortir en 2004]. De toute manière, la façon dont nous travaillons à Pixar est très collégiale, chacun peut intervenir sur le film d'un autre, suggérer une idée, émettre un avis. Un film n'appartient à personne, et le réalisateur en titre n'agit pas en dictateur."


LE VOYAGE DE HAYAO

Clôturons ce portrait d'un créateur d'exception par une anecdote que vous ne connaissiez peut-être pas : une indéfectible amitié lie John LASSETER au cinéaste japonais Hayao MIYAZAKI (Mon Voisin Totoro, Princesse Mononoké). Leur rencontre s'est faite au début des années 80. A cette époque, MIYAZAKI travaille sur le long métrage Little Nemo pour la TMS -Tokyo Movie Shinsha-, d'après l'œuvre originale de Winsor McKAY (pourtant, bien des problèmes surgissent pendant la production, qui n'aboutira qu'en 89 après un changement de réalisateur -William HURTZ, vétéran de la UPA). Ce projet amène alors MIYAZAKI à effectuer courant 82 un voyage aux Etats-Unis, où il fait la connaissance d'un tout jeune animateur, un certain LASSETER (encore chez Walt Disney). Ce qui n'aurait pu rester qu'une rencontre strictement professionnelle devient une vraie complicité, perdurant bien au-delà de la création de Pixar. C'est d'ailleurs une sorte de relation d'admiration de maître à disciple qui s'installe, MIYAZAKI étant largement l'aîné de LASSETER...



John LASSETER - Hayao MIYAZAKI : même combat.

Régulièrement, l'un rend visite à l'autre, et c'est donc tout naturellement que la toute première projection privée hors de l'archipel nippon du Voyage de Chihiro (Spirited Away outre-Atlantique), se déroula dans l'Auditorium de Pixar ! Fort logiquement le film fait forte impression à LASSETER, au point que ce dernier incite Disney à le distribuer sur le territoire des Etats-Unis. La maison-mère reste éminemment sceptique, et notamment les responsables marketing qui pensent que le film est complètement opaque pour le yankee lambda car trop imprégné de culture traditionnelle japonaise... Bien décidé à ne pas lâcher quoi que ce soit, LASSETER insiste et trouve une astuce : il présente le personnage de Chihiro comme une jeune japonaise moderne, qui ne comprend pas elle-même les subtilités de sa culture ancestrale, et traverse le film en remettant constamment en cause le monde environnant (futé le John). Disney accepte finalement, sans doute surtout pour céder au 'caprice' d'un de ses plus lucratifs protégés...

LASSETER a donc personnellement supervisé la version américaine du Voyage de Chihiro (pour la petite histoire, la voix de la protagoniste est celle de Lilo dans Lilo et Stitch). La promotion s'est malheureusement apesantie sur l'illustre directeur du doublage, mais MIYAZAKI n'en a cure et cela n'a pas empêché les fans de réserver un bel accueil au film, et Disney de le ressortir en 2003, redynamisé par un Oscar du Meilleur Film d'Animation. A la manière de l'arroseur arrosé, LASSETER est donc passé d'un talent découvert... à un découvreur de talents.

Gersende Bollut


Filmographie

Réalisateur
-
The Adventures Of Andre And Wally B. [c.m.] (1984)
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Luxo Jr. [c.m.] (86)
-
Red's Dream [c.m.] (87)
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Tin Toy [c.m.] (88)
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Knick Knack [c.m.] (89)
- Toy Story (95)
- 1001 Pattes (A Bug’s Life -98)
- Toy Story 2 (99)

Producteur / producteur exécutif
- Monstres & Cie (Monsters, Inc. -01) -Pete DOCTER et David SILVERMAN - Le Monde de Nemo (Finding Nemo -03) -Andrew STANTON

Sources interviews : Ciné Live n°21 et 55 - 1999 / 2002.

 

"Repousser les limites de la technologie est quelque chose de grisant. Quand vous avez commencé, vous n'avez plus envie de vous arrêter..."

John Lasseter