Sung-Gang
Lee

Le
Grand Prix du long métrage du 26ème Festival d'Annecy
(pour Mari Iyagi) ne devait pas être considéré comme
une surprise, sinon comme la juste récompense décernée
à toute l'œuvre -encore jeune mais déjà remarquable-
du cinéaste d'animation coréen Sung-Gang LEE.
Né
en 1962, Sung-Gang (aucun rapport avec Bruce ni Stan -ah ah) fait ses
études à Séoul où il obtient un diplôme
de psychologie à l'Université de Yonsei. Artiste-peintre,
il décide rapidement de s'improviser autodidacte et se lance
dans des projets de grande envergure, liés cette fois au dessin...
animé. Il commence à mettre en chantier quelques courts-métrages
d'animation (tremplin idéal pour une carrière plus ambitieuse
à long terme), parmi lesquels quatre se distinguent en 1995 :
The Small Moon, Soul, Torso et Two Rooms, que le cinéaste avoue
trouver peu satisfaisants avec le recul. Et modeste avec ça...
BRILLAMMENT PLURIDISCIPLINAIRE
Protéiforme,
son œuvre animée s'attache alors à couvrir tous les supports,
de la création multimédia sur CD-Rom avec Legend (96)
au court-métrage pastel Lover, récompensé la même
année au titre de meilleure œuvre à l'excellent SICAF
(Festival International d'Animation de Séoul). Ce court traite
avec une subtilité et une élégance rares du thème
de la quête de soi.
Dès
lors, rien ne l'arrête. En 1997, Sung-Gang LEE réitère
l'expérience CD-Rom avec Sex, ajoute deux courts-métrages
à son palmarès (Tickle et Umbrella), réalise le
clip vidéo d'Ocean pour le groupe coréen Rainy Sun, tout
en participant aux séquences animées de Timeless Bottomless
Bad Movie -un film de Sun-Woo JANG. Ouf !
De
plus en plus ambitieux, notre homme propose dans la lancée Ashes
in the Thicket, nouveau court co-réalisé avec Nag
VLADERMERSKY...
et sélectionné au Festival d'Annecy 98 en compétition
officielle. Enfin, 2002 voit la reconnaissance unanime de la profession
internationale pour son long métrage Mari Iyagi (à sortir
sous le titre My Beautiful Girl, Mari en version anglaise). Un film
qui n'est pas sans évoquer l'univers poétique, mélancolique
et intensément grave de l'illustre Tombeau des Lucioles d'Isao
TAKAHATA.
Reprenant
le traitement pastel qui avait déjà réussi dans
son court-métrage Lover, et combinant adroitement effets 2D et
3D, Mari Iyagi conte l'histoire d'un jeune garçon solitaire immergé
dans un monde puissamment onirique, et réunit toutes les qualités
requises pour séduire toutes les tranches d'âges du public.
Une œuvre où l'émotion, à fleur de peau, est au
premier plan.
LEE
: L'INTERVIEW
Propos
choisis de l'artiste, lors du Festival d'Annecy de juin 2002. Le palmarès
lui ayant réservé la place d'honneur, il l'a du même
coup projeté sous les feux des projecteurs.
Sur
sa carrière d'artiste-peintre
-
"Ce
qui m'intéressait était de trouver d'autres façons
de représenter la réalité. Je suis d'ailleurs progressivement
passé d'une peinture figurative à un travail plus abstrait,
jusqu'à des installations. Mon travail était largement
expérimental : il s'agissait de représenter ma propre
réalité".
Sur
sa vision du monde
-
"Mon
point de vue est que même si le monde réel peut être
assez douloureux, on peut être heureux grâce à l'imaginaire.
Même si le rêve est, par nature, "irréel",
on en a besoin pour vivre".

Nam-Woo et Joon-Ho sont sur un vélo. Nam-Woo
tombe à l'eau...
Sur
le choix
des images de synthèse pour Mari Iyagi
-
"Actuellement,
il est plus pratique de réaliser un film d'animation sur ordinateur.
La palette graphique permet de réaliser les mêmes choses
qu'à la main et au-delà d'être un très bon
outil, l'ordinateur permet de travailler avec des équipes plus
réduites, donc dans de meilleures conditions".
- "L'ouverture
du film était particulièrement difficile en raison de
la longueur des plans. C'est un générique pourtant "classique"
avec cet oiseau qui vole entre les gratte-ciels de Séoul. Mais
les mouvements des plans rendait leur préparation plus complexe".
Sur
les difficultés de monter un film d'animation en Corée
-
"Comme
dans le monde entier, réaliser un film d'animation en Corée
est difficile, et comme le marché intérieur est réduit,
c'est encore plus dur. Je ne crois pas qu'il existe véritablement
à ce jour une création d'auteur. Pourtant, techniquement,
nous sommes au même niveau que le Japon ou les Etats-Unis. C'est
au niveau créatif qu'il reste du travail à faire. Par
ailleurs, le public est trop habitué aux productions américaines
et japonaises, et sous-estime les productions nationales, qui rencontrent
rarement de grands succès".
Sur
ses influences
-
"Principalement
les films de Youri NORSTEIN. Le
Conte des Contes
par exemple est un film très profond, qui touche au sens de la
vie. Ce n'est pas une œuvre que l'on peut appréhender facilement,
mais qui révèle son sens secret au fur et à mesure
des visions successives. Le charme qu'il dégage provient de l'ambiguité
de son propos, qui caractérise à mon sens le rôle
de l'art".
-
"Le
récit [de
Mari Iyagi] est
essentiellement basé sur mes souvenirs d'enfance, il y a beaucoup
de moi-même dans le film, même si le synopsis reste un scénario
original (...).
Je ne subis pas d'influence particulière. Il y a effectivement
certains éléments dans le film qui font appel à
une tradition picturale coréenne à laquelle on ne peut
pas échapper. Mais il s'agit d'un fondement sur lequel j'ai forgé
mon propre style d'artiste peintre".
PLUS
QU'UN ARTISTE A DÉCOUVRIR, UNE CULTURE
Succès
considérable sur son territoire d'origine, Mari Iyagi bénéficiera
par la suite d'une sortie internationale (pour info, sorti sur 57 écrans
coréens le 11 janvier 2002, le film avait déjà
été vu par 110.000 spectateurs à la fin mai). Les
plus impatients se seront procuré la vidéo, d'ores et
déjà disponible en Corée où elle est distribuée
par Siz Entertainment...
Lee
est désormais un cinéaste à suivre de très
près et qui, du haut de sa quarantaine de printemps, saura prouver
dans les années à venir qu'on ne peut compter sans lui...
pour peu que l'on s'intéresse au cinéma d'animation.
Mais
plus qu'un homme, c'est tout un cinéma qu'il va nous falloir
explorer, avec sa grammaire et son langage propres. La Corée
ne demande qu'à se faire une place (et un nom) dans le milieu
de l'animation, or cette récompense -hautement convoitée-
fait écho au prix remis à Myung-Ha LEE pour son Existence,
lors du Festival International du Film d'Hiroshima cuvée 2000.
Deux coréens primés en l'espace de deux ans, voilà
qui met sur la sellette internationale tout le potentiel d'un vivier
d'artistes qui ne demandent qu'à accéder à une
plus large reconnaissance. Très franchement, tout cela m'enthousiasme
au plus haut point. Pas vous ?
Gersende
Bollut

Mari Iyagi "très bien" (et Jacques
a dit "couché"...)
Sources
interviews
: AnimeLand n°83 et Coyote n°2 - 2002.
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