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Lemming



(article à lire après avoir vu le film)


P
our son troisième film, Dominik MOLL s'attaque cette fois au thriller fantastique, après avoir exploré le thème du tueur psychotique dans Harry, un ami qui vous veut du bien. Force est de constater le talent du réalisateur en ce qui concerne la mise en place d'univers singuliers et de personnages crédibles. De fait, Lemming possède le même atout que Harry, et le spectateur entre quasi-instantanément de plein pied dans le quotidien d'un couple, pour mieux ici se faire surprendre par l'arrivée des éléments fantastiques quand il s'agissait dans le premier film de mieux s'inquiéter du couple face au personnage énigmatique Harry.


LEMMING... DE RIEN

Malheureusement, le film pâtit aussi des mêmes faiblesses que son prédécesseur. Ainsi, si la première moitié du récit se suit avec intérêt, la seconde souffre d'une perte de rythme et les interrogations présentes au début de l'histoire disparaissent trop vite, en même temps que l'atmosphère inquiétante et presque surréaliste. Harry, l'étrange personnage apparu dans une station-service, devient rapidement le psychotique dangereux pour le spectateur omniscient, et Michel le naïf qui se laisse manipuler. Le spectateur, confronté pendant la seconde moitié du film à un schéma narratif qui ne monte plus dans l'intensité dramatique, finit par se lasser de l'histoire, et ne s'identifie plus suffisamment au protagoniste pour craindre ce qui va arriver à ce dernier. Dans Lemming, l'incongruité de la présence de l'animal dans le siphon de l'évier de la cuisine d'Alain et de Bénédicte, jeune couple, fait suite à une scène particulièrement déroutante dans laquelle l'épouse du patron d'Alain, Alice, se montre froide et grossière, insultant son mari, puis Alain et Bénédicte. De plus, le lemming bouchait l'évier avant l'arrivée du patron d'Alain et d'Alice, et son espèce vit uniquement en Scandinavie. Le spectateur déduit que l'apparition de l'animal est une malédiction. Puis, tout est mis en scène pour le faire croire pendant la première moitié du film.

Les lemmings, selon les dires d'un spécialiste en micro mammifères, courent au suicide régulièrement, pendant des cycles particuliers, tandis qu'Alice s'est suicidée dans la maison de Bénédicte et d'Alain. Puis, Bénédicte change après la mort d'Alice, et se détache d'Alain. Alain voit même une ruée de lemmings dans un cauchemar qu'il prend pour vrai, dans lequel il rentre chez lui, s'inquiétant de son épouse. C'est là que le bât blesse. Très vite, trop vite, le spectateur a fait le lien entre la mort d'Alice et le comportement de Bénédicte. Pendant un coup de fil d'Alain à Bénédicte, alors qu'il est en voyage d'affaires, la voix de Bénédicte ressemble à s'y méprendre à celle d'Alice. Puis Bénédicte cite des phrases qu'Alice a dites, avant de tromper Alain avec son patron. Il s'agit de la seconde partie du film, celle où l'intensité dramatique cesse de croître, parallèlement à la disparition de l'aspect surréaliste du long métrage, qui sombre dans le fantastique convenu. Bénédicte est possédée par Alice, qui souhaite qu'Alain tue son mari. Dominik Moll nous l'impose platement, alors que nous l'avions parfaitement compris auparavant, en nous montrant Bénédicte devenir Alice lorsque celle-ci annonce à Alain sa mission. Le spectateur comprend alors le caractère uniquement symbolique du lemming. Lorsque Alain obéit à Alice, Bénédicte est dépossédée, et la vie reprend son cours, mis à part la naissance prochaine d'un enfant pour Alain et Bénédicte, qui soulève la question bien faible : est-il d'Alain ? En voix off, Alain, qui avait introduit le récit, conclue : le lemming avait été ramené par le fils du voisin d'en face d'un voyage en Scandinavie, et le voisin avait jeté la bête aux toilettes. Le lemming n'avait donc rien d'une malédiction, même si Bénédicte le retrouve mort quand le patron d'Alain est déclaré mort lui aussi.

Vous l'avez compris, en plus de la diminution d'intérêt du récit dans la seconde moitié du film, renforcée par des baisses de rythme (par exemple, le long panoramique inutile sur la montagne avant qu'Alain ne se réveille seul au milieu de la nature), Lemming éprouve une faiblesse également présente dans Harry : la banalité du sujet traité, une fois soulevé les artifices surréalistes de l'entrée en matière. Ici, une anecdote usée sur un psychotique, là, une commune histoire de fantôme.

Enfin, Dominik MOLL oublie la signification du terme "fantastique" émise par Tzvetan TODOROV : "Le fantastique, c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement en apparence surnaturel". La présence du lemming va dans le sens de cette définition, mais la vraie histoire, celle de la possession, ne peut être interprétée que d'une seule façon, à cause de la scène où Bénédicte devient Alice sous les yeux du spectateur, et de la manière brutale avec laquelle Bénédicte reprend ses esprits une fois Alice satisfaite.

Lemming ne vient donc pas confirmer les aptitudes d'un réalisateur en devenir, mais plutôt attester la valeur des doutes émis sur le metteur en scène lors de la découverte du film Harry. A bon entendeur…

Guillaume Briquet

Fiche technique

- Origine : France - Couleurs - 2 h 09 mn.
- Date de sortie France : 11 mai 2005.
- Production : Michel SAINT-JEAN.
- Réalisateur : Dominik MOLL.
- Scénario : Dominik MOLL et Gilles MARCHAND.
- Casting : Laurent LUCAS (Alain), Charlotte GAINSBOURG (Bénédicte), Charlotte RAMPLING (Alice), André DUSSOLLIER (Richard)...
- Box-Office France : en cours d'exploitation.
- Sortie DVD : 2ème trimestre 2005.

 

"Si la première moitié du récit se suit avec intérêt, la seconde souffre d'une perte de rythme et les interrogations présentes au début de l'histoire disparaissent trop vite, en même temps que l'atmosphère inquiétante et presque surréaliste"