Sommaire

Dis-moi ce que tu fous là,
je te dirai ce que tu es...


Signe d'un profond mal être ou d'un désespoir total, certains films semblent parfois être le fruit de réalisateurs en mal de vivre, traversant une période trouble faite de questions existentielles, qui semblent transpirer à l'écran. Trêve de plaisanteries, comment en effet imaginer un instant qu'on puisse mettre en chantier de véritables films d'animation (avec ce que cela suppose d'enjeux financiers, de mobilisation de studios, de temps passé sur la réalisation, etc), pour au final donner une oeuvre à peine digne des Bidasses en folie ou des Charlots font l'Espagne, le côté "comédie potache assumée" en moins... ?

De A à Z, Frames propose donc une première approche de ces nanars cinématographiques, où le pire cotoie le vraiment désespérant. Parfois pourtant, comme nous allons le voir, les apparences sont trompeuses : car sans être révolutionnaire, Balto se laissant ainsi regarder avec un certain plaisir (certes éphémère). Mais que dire d'Excalibur, l'épée magique, calamité sans nom ? Ou d'Histoires de Fantôme Chinois, transposition animée ratée de films live pourtant brillants ? Sans parler des suites disneyennes sans imagination, du Bossu 2 à Buzz l'éclair - le film (seul Le Roi Lion 2 arrive à sauver la mise)... Mais commençons par voir les trois principales sources d'inspiration constatées pour ces adjuvants.


PREMIERE SOURCE : UN HEROS SORTI EX NIHILO

Imaginez vous à un brainstorming intense, où les neurones chauffent à plein, et où le café, aussi fort qu'il soit, est de toute façon moins serré que le budget alloué au film. Là donc, des idées germent. Une personne lance : "Tiens, on pourrait raconter les palpitantes histoires d'un petit appareil électroménager sans peur et sans reproche, qu'en pensez-vous ?". Deux personnes soupirent. Le producteur, blasé et n'espérant que tirer profit d'idées juteuses, lui demande de creuser son idée (faute d'approfondir une véritable réflexion). Ainsi a pu naître l'aberration totale des aventures du Petit Grille-Pain Courageux. Ca ne s'invente quand même pas, un truc pareil ! Prendre les enfants de moins de dix ans pour des consommateurs en puissance, c'est une chose, mais les traiter d'abrutis en leur proposant des infamies en est une autre.

Le public enfantin est de plus en plus soucieux de qualité, et certaines séries animées pour la télévision ont rehaussé d'un cran le standard exigé. Des Contes de la rue Broca (supervisés par l'écrivain Gripari) ou Petit Potam, aux délirants Oggy et les cafards ou les Zinzins de l'espace, la qualité est aujourd'hui au rendez-vous, et il n'y a plus de place pour certaines productions hasardeuses diffusées sur TF! (Kangoo, les Graffitos) ou M6 Kid (la famille Delajungle, les Marchiens). Proposer de nouveaux concepts et/ou de nouveaux personnages totalement inédits est donc souhaitable, encore faut-il un minimum de talent et d'inventivité. La série Micha-Michien introduit ainsi un être hybride, mix de deux animaux réputés ennemis, et en l'occurrence voici une idée audacieuse, qui a payé. Mais pour une idée sympathique, combien de concepts stupides mettant en jeu la crédibilité d'un studio, auprès du public averti... ? Aussi lorsque cela s'étend aux productions de plus grande envergure (entendez par là les longs métrages), on peut parler de suicide programmé. Rock'O Rico (1992) est un exemple parmi tant d'autres. Présenté comme un hommage au King, quelle idée de mettre en vedette un coq crooner ? Les 3.291 entrées Paris ne sont du reste pas étonnantes... Le laisser seulement quatre semaines à l'affiche, ça n'est pas non plus innocent de la part des distributeurs !




DEUXIEME SOURCE : S'INSPIRER D'UNE MATIERE PREEXISTANTE

Parfois, le ou les protagonistes est (ou sont) préexistant(s) : on parle alors de licences. On peut alors être en droit d'attendre d'une adaptation, sinon fidèle à l'original (simple fac-similé transposé à l'écran, faute de mieux), voire mieux, d'être aussi bonne que la série d'origine. Mais que penser des Douze Travaux d'Astérix ou de Tintin et le Temple du Soleil, véritables carnages de A à Z ? Animation ratée, voix des personnages risibles et même pathétiques (Cléopâtre avec la voix d'une vendeuse à la criée, c'est vraiment d'un goût très assuré...), avec, par-dessus le marché, des entorses inadmissibles faites aux séries dont les films s'inspirent, quand ce n'est pas davantage. Stop, cessez le massacre !

Par respect pour les séries, les studios d'animation devraient dans ce cas s'abstenir. Si l'on s'en tient aussi aux séries télévisées, le bilan n'est pas brillant, entre une première série de Tintin ratée, et des Lucky Luke soporifiques. Mais, lentement, les choses ont évolué, et les projets ne semblent aboutir désormais que si "qualité et fidélité" sont assurées. Repris par Ellipse/Nelvana dans les années 90, le blondinet d'Hergé a depuis retrouvé de bonnes couleurs, et Lucky Luke version 2001 a su transcender la série d'origine. Les dernières séries adaptées de la bédé ne sont pas en reste, de l'excellent Titeuf au sympathique Cédric, en passant par la délicieuse Agrippine. Mais là aussi, quelques ratés sont notables, la maison Dupuis se vantant peu des adaptations de Papyrus et Billy the Cat...


TROISIEME SOURCE : DES SUITES A GOGO

Constat plus récent encore : les studios ont la fâcheuse habitude de donner des suites à des films. Si les opus originaux sont réussis dans le fond et dans la forme, et surtout s'ils ont su engranger de forts bénéfices, mettre en chantier une suite devient monnaie courante. Et dans ce domaine, Disney est assurément roi. Pocahontas, La Belle et La Bête, La Belle et le Clochard, le Bossu de Notre-Dame et tout prochainement Cendrillon et Dumbo, la manne semble inépuisable, et les séquelles semblent sortir comme par magie des studios en manque d'inspiration. Encore heureux qu'ils ne s'agissent que d'OAV ! Mais, avec les échecs publics successifs de Kuzco ou d'Atlantide, la firme américaine semble avoir donné tout ce qu'elle a pu dans le domaine de l'animation traditionnelle. Sans Pixar, les pertes seraient désormais énormes.

Le même Pixar qui fit une entorse à la règle, en signant une suite à Toy Story aussi bonne, voire même franchement meilleure que l'original. Destiné à l'origine pour le seul marché vidéo (idée vite écartée au vu du scénario solide et des trouvailles à foison), la sortie salles d'un produit à l'origine OAV semble donc n'être poussé que par sa qualité intrinsèque. On peut donc légitimement s'inquiéter pour le prochain Dumbo 2, alors que Peter Pan 2 a droit pour sa part à une sortie salles ! La firme de la souris aux grandes oreilles n'est donc pas dupe sur la qualité de ses OAV, simples sources de revenus financiers, honteux. Et, ainsi, seuls ceux susceptibles de redorer un peu le blason de la firme ont les honneurs d'un réseau de distribution beaucoup plus large. Dans le cas précis des suites fades et même révoltantes (qu'aurait pensé Victor Hugo du Bossu 2 ?), on voit donc bien que Disney a conscience de la pauvreté scénaristique et esthétique de ces productions mineures, mais ne fait rien pour enrayer la machine...


RIGOLONS UN BON COUP

La structuration d'un récit digne de ce nom requiert cinq axes à travailler (l'incident déclencheur, des complications progressives, une crise, un climax et un dénouement), et certains semblent s'en contrefoutre royalement. Sans théoriser davantage, prenons quelques exemples concrets pour mieux saisir le désarroi qui nous anime, à la vue de certains synopsis. "Il était une fois, Louie, un bébé cygne, muet. Il apprend alors à s'exprimer grâce à une trompette que son père a volée. Aidé par son copain Sam, un petit garçon hors du commun, Louie va alors tout faire pour devenir un excellent musicien..." (La trompette magique).

D'autres exemples du même acabit ? Après tout, pourquoi s'en priver... "Dans une forêt merveilleuse règne un cruel oiseau de proie. Deux petits oiseaux, Oliver et Olivia, organisent la résistance. Les autres oiseaux hésitent. Les deux compagnons rencontrent alors deux souris dont la mère a été croquée en guise de dessert, par le rapace. Ensemble, ils tentent d'attirer leur ennemi dans un piège..." (Oliver et Olivia). Passionnant. Autre résumé : "Les petits poneys préparent le festival du printemps dans la joie et la bonne humeur. Les bébés poneys répètent leur numéro avec Léo le Dragon au piano, avant la grande représentation" (Mon Petit Poney, le film). Quels enjeux dramatiques ! Le meilleur pour la fin ? "Les Jellabies sont des petits personnages attachants et joyeux, aux couleurs acidulées. A l'appel de la sirène, les gentils Jellabies fabriquent des arcs-en-ciel. Quand ils ne travaillent pas, nos amis aiment partir à l'aventure, mais aussi s'amuser" (les Jellabies). Pitié, arrêtons de nous torturer avec ces histoires sans queue ni tête ! Ces exemples de nanars, à valeur pragmatique, entérinent toutefois bien cette idée de l'absolue nécessité d'un récit cohérent, et intéressant (ce n'est pas non plus la mer à boire, non ?).

[ND Pierre, rédac chef : Objection votre honneur ! Totoro n'offre aucun enjeu dramatique -hormis dans son dernier tiers-, et ça ne l'empêche aucunement d'être l'un des films d'animation les plus magnifiques de tous les temps. Miyazaki possède un sens du détail, du rythme et de la mise en scène qui peut se suffire à lui-même. Totoro n'est pas loin d'être un film abstrait, qui procure un plaisir presque exclusivement cinématographique -le chat-bus, l'arbre géant, la tempête... Ainsi pratiqué, le cinéma s'apparente à la musique -pour paraphraser Truffaut, qui parlait en ces termes de la scène de l'avion de la Mort aux trousses dans son livre d'entretiens avec Hitchcock-, et n'a pas besoin d'enjeux dramatiques. Cependant, Totoro est une exception -certes flamboyante]


D'UNE MANIERE PLUS GENERALE : LA FAUTE A QUI ?

C'est bien beau de faire le constat, mais le tout est de trouver les raisons véritables de tels échecs. Echecs principalement critiques. Car parfois, certains films, effectivement sans grand intérêt, cartonnent en salles (Dinosaure, Le Prince d'Egypte) ou se font singulièrement remarquer (Osmosis Jones), et d'autres ne font qu'un bref passage, malgré leur qualité indiscutable (Le Géant de Fer, Kuzco...). L'objet de notre propos n'est donc pas ici d'analyser les échecs commerciaux, sinon les échecs purs et simples (ceci entraînant parfois cela).

Le plus souvent, on distingue en fait deux catégories : soit le studio responsable du plantage est conscient de la "qualité" de son film (mais il le sort en salles pour limiter les dégâts financiers, ou, comme nous l'avons vu avec Disney, le refourgue au rayon des OAV), soit il ne s'en rend tout simplement pas compte. La deuxième raison est plus grave, c'est laisser des animateurs dans l'inconscience de leur nullité, disons les choses comme elles sont ! Nous n'incriminerons aucune équipe de développement en particulier, puisqu'après tout, c'est parfois en faisant des erreurs qu'on peut tenter de rectifier le tir par la suite... Il faut donc mettre ça sur le compte des erreurs de jeunesse (c'est autrement plus alarmant quand un studio se repose sur ses lauriers et sa gloire passée, pour engranger des bénéfices sans trop se fouler, en témoignent certaines productions Disney récentes...).

Fort heureusement, on compte proportionnellement moins de navets dans le milieu du cinéma d'animation, que dans les productions live. A sa décharge, le cinéma traditionnel est en effet accessible au "premier venu" (surtout depuis la démocratisation des prix, amorcée par la DV-cam), tandis que l'Animation suppose un minimum d'efforts, d'organisation, de moyens, et surtout une équipe avec une once de talent pour le dessin. Et même lorsque l'on aborde le problème des films en images de synthèse (où avoir un bon coup de crayon ne semble plus aussi indispensable que par le passé -encore faut-il connaître les bases de l'anatomie du corps humain), les moyens exigés limitent le risque de productions navrantes. Dernier exemple en date, Jimmy Neutron : un garçon génial. Car aussi rudimentaire soit son graphisme (en regard des mastodontes Shrek ou Final Fantasy), le film est sauvé par un humour rafraîchissant, et des idées scénaristiques que l'on tient vivement à saluer. Comme quoi un premier film peut déjà être réussi, pour peu que l'on s'en donne la peine (et l'ambition).

Mais dans le cinéma d'animation comme ailleurs, un film ne part pas avec les mêmes chances si d'entrée les bases fondamentales ne sont pas respectées. Ainsi, pour parler concrètement, il convient de respecter à la lettre la franchise Tintin si l'on veut faire un long métrage réussi (on attend encore une transposition digne de ce nom de l'oeuvre d'Hergé). On peut certes s'autoriser quelques écarts si le passage au grand écran l'exige, encore faut-il le faire en accord avec les descendants légaux. Ainsi, les divers films mettant en scène Astérix et ses comparses ont été supervisés par feu Goscinny et Uderzo. Ils n'en sont pas moins affligeants, et restent une énigme pour le cinéphile amateur de bandes dessinées. Reste à se rabattre sur la version live beaucoup plus réussie d'Alain Chabat...

A ce sujet, un mot sur la bande dessinée (très liée à l'Animation) et le cinéma, qui font rarement bon ménage également. Les premiers films de Tintin sont d'un kitsch assez effrayant -le mot n'est pas trop fort-, et il vaut mieux passer sous silence le Lucky Luke avec Terence Hill ou le premier Astérix de Claude Zidi (seuls les comics s'en sortent mieux, avec le X-Men de Bryan Singer, ou le très attendu Spiderman de Sam Raimi, ou l'Hulk de Ang Lee...). Mais le pire reste les collaborations "étroites". Que d'efforts investis, avec une bonne volonté certaine, de la part du talentueux Régis Loisel (Peter Pan) et de Vince (Cortex), pour le navrant Petit Poucet d'Olivier Dahan ! Le mieux reste encore parfois les transpositions animées, en atteste le tout récent Bécassine, en attendant l'arlésienne Corto Maltese en Sibérie...


LES PRODUCTIONS DITES MARGINALES

Reste le problème des films "parallèles". Au détour d'un Lidl ou d'un Leclerc, n'avez-vous jamais croisé ces rayons où s'étalent des vidéos bon marché, avec des visuels rappellant étrangement les tout derniers Disney ? Si cela se limitait aux visuels... Mulan, Aladdin, le Roi Lion ou Tarzan, à ce niveau, on ne parle plus de plagiat, mais de calque pur et simple. A l'image des reprises illégales de refrains populaires par des chanteurs amateurs pour le marché CD, ces vidéos, sans prétention aucune, proposent une vision affadie des classiques Disney. Pas question de faire de l'art ou des essais expérimentaux, ces productions sous-traitées sont simplement destinées aux classes sociales peu fortunées, ne pouvant se permettre de s'offrir les dernières créations de la firme de Mickey.

Illégales, elles ne représentent pourtant pas un grand danger pour la firme, sauf lorsque ces productions faites de bouts de ficelle osent mettre quelques-uns de leurs titres en kiosques, à côté des titres originaux ! Une véritable provocation, pour des films sans intérêt, pas même vraiment qualifiables d'OAV, et pas plus diffusables à la télévision (qui désire garder une certaine décence).


EN GUISE DE CONCLUSION

Fort de toutes ces constatations, il n'y a pas de quoi se réjouir, mais pas non plus de quoi tirer la sonnette d'alarme. Les productions navrantes existent, et le contraire eut été étonnant. Parfois on préférerait quand même être épargnés par certains films, comme le Japon sait nous en faire grâce (il y existe aussi des centaines de longs métrages d'une nullité évidente, mais la distance fait que seuls les chefs-d'oeuvre -à une ou deux exceptions près- passent nos frontières). Visiblement en tous cas, aucun pays ne semble être à l'abri, et l'on pourrait croire à une concurrence du "toujours plus insipide". Du Château des Singes à Heavy Metal 2000, de Charlie à Joseph (la suite du Prince d'Egypte), de Carnival à Pocahontas, sans omettre Excalibur - l'épée magique, Le Cygne et la Princesse ou Titanic - version animée, les nanars sont légion, et parfois la sensibilité de chacun n'est pas de mise. Un nanar est souvent un nanar, objectivement.

Ils permettent néanmoins de faire une classification entre le grain et l'ivraie. On peut leur être reconnaissant de s'abstenir de toute promotion trop appuyée, leur existence étant déjà amplement suffisante. De plus en plus, le standard de qualité exigé est élevé, les vocations sont encouragées, et les vrais animateurs seront les personnes persistantes et acharnées, toujours plus exigentes avec elles-mêmes, et plus respectueuses d'un public désormais aguerri, qui n'aime pas être pris pour ce qu'il n'est pas.
Reste que si vous êtes comme ces communautés d'internautes qui vouent un véritable culte aux nanars, vous trouverez ici de quoi vous satisfaire...

Gersende Bollut

LIENS INTERNET

- www.nanarland.com
- www.ifrance.com/lesiteducinephile/nanars/nanars1.htm

 

"Signalons que le fait de considérer un film comme relevant du nanar n'a rien, a priori, de péjoratif. La nullité peut en effet convoquer la jouissance burlesque"

Michel Marques rédacteur en chef du site officiel des nanars

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"La notion de nanar est née de conditions de productions particulières et d'un genre précis. Elle a vu le jour autour d'un certain nombre de films français réalisés des années 30 à 50 avec des budgets insignifiants, dans le genre de la comédie"

Michel Marques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Apprécier un nanar à sa juste valeur n'est pas au départ donné à tout un chacun. Le nanar appelle une attitude, des réflexes. Il peut parfois se cacher derrière un film qui se voulait originellement sérieux, trop sérieux. L'amateur de nanars est donc un chasseur de primes. Sa quête ne s'arrête jamais. N'oublions pas qu'à tout moment, les nanars nous guettent..."

Michel Marques