Peyo
l'enchanteur

Genre
: Biographie
De Hugues DAYEZ
édition Niffle
Note : 4/5
Les
titres
de l’éditeur Niffle sont à la bande dessinée
ce que les ouvrages de la Pléïade sont à la littérature
: à la fois d'aspect classieux et définitifs, où
les plus belles pages du domaine sont couchées en noir et blanc
sur papier glacé. En un mot, une véritable Bible.
Dans
la série Profession regroupant des entretiens-fleuve et la biographie
exhaustive des Maîtres du genre, a récemment été
édité un volume intitulé Peyo l'enchanteur, tout
entier consacré au mythique créateur des Schtroumpfs.
Peyo,
de son vrai nom Pierre CULLIFORD, est un auteur bruxellois qui au sortir
de la Seconde Guerre Mondiale fut intronisé dans le milieu de
la bande dessinée par l'illustre Franquin (Spirou et Fantasio),
créant au fil des années diverses séries de qualité
variable, du gentil mais un peu mièvre Poussy aux valeureux et
attachants Johan et Pirlouit, en passant par l'iconoclaste anti-héros
Benoît Brisefer. Mais ce n'est qu'avec les célèbres
lutins bleus, baptisés Schtroumpfs à la faveur d'une salière
recherchée un jour au restaurant (l'anecdote est fameuse : Peyo
la demandant à Franquin mais ne se souvenant plus de la désignation
de l'objet, lui dit "Passe-moi la… allez, le… le
schtroumpf, là, près de toi !"), que Peyo connaîtra
enfin une renommée internationale méritée. Un
parcours retracé avec force détails dans ce pertinent
bouquin à dévorer de toute urgence, incluant une foultitude
de témoignages de ses proches assistants, parmi lesquels Walthéry
(Natacha), Wasterlain ou Gos (le Scrameustache), ou même de sa
toute proche famille -son épouse Nine ou son fils Thierry.
Mais
là je vous vois, lecteurs habitués de Frames, vous offusquer
: "Très bien mais que diable vient faire ce livre dans
les colonnes de notre site préféré ?".
Je m’explique, mais avant tout permettez-moi de vous remercier
pour ce petit compliment finement glissé. ^^
Ignoriez-vous
que Peyo s'était lancé en 1973 dans 'l'aventure Belvision',
ce fameux studio d'animation belge à l'origine de quelques longs
métrages, sinon assez médiocres avec le recul, en tous
cas fort remarqués lors de leur sortie et partis d'une initiative
louable (transposer sur grand écran les histoires des plus grands
fleurons que la bédé franco-belge puisse compter)…
? Parmi ces productions l'on retiendra Astérix le Gaulois (1967),
Tintin et le Temple du Soleil (69), Tintin et le Lac aux requins (72)...
et la Flûte à Six Schtroumpfs (75), adaptation fidèle
de l'album du même nom, marquant la première apparition
des lutins bleus. Puis, au tout début des années 80, le
succès aidant, l'univers de Peyo s'exporte et connaît une
renommée internationale avec la série télévisée
des Schtroumpfs, produite sous la bannière Hanna-Barbera. Une
série dont l'histoire en coulisses ne fut pas un long fleuve
tranquille, à coups de malentendus, quiproquos et conflits frontaux,
ainsi que l'atteste le chapitre tout entièrement consacré
dans cet ouvrage de Hugues Dayez, dont nous reproduisons ici un passage...
Extrait :
"Tous
les décideurs sont là : la directrice des programmes enfantins
de la NBC, la responsable de production de Hanna-Barbera, le réalisateur
Gerard Baldwyn, deux scénaristes du studio, Peyo et Delporte
qui lui sert d'interprète. Bill Hanna et Joe Barbera se sont
fait excuser, leurs interventions seront d'ailleurs très rares
par la suite.
Peyo
est invité par l'assemblée à expliquer comment
il voit ses personnages : "La seule chose que j'ai tenu à
préciser tout de suite, c'est que les Schtroumpfs ne mâchent
pas de
chewing-gum et qu'ils ne boivent pas de Coca-Cola. Je ne tenais
pas à ce qu'on américanise mes personnages, et j'ai obtenu
gain de cause sur ce point." Yvan complète : "Tout
a été assez simple jusqu'au moment où il a fallu
définir la Schtroumpfette. Peyo a commencé en disant qu'elle
était "très féminine". On lui demande
de préciser sa pensée. Alors il poursuit : "Elle
est jolie, blonde, elle a toutes les caractéristiques des femmes..."
Connaissant le climat de féminisme aux USA, je traduis diplomatiquement
par "toutes les qualités". Je tablais sur le fait que
Peyo ne comprenait pas ce que je disais, ni les américains ce
qu'il voulait dire. On lui demande évidemment d'en dire plus.
Il poursuit sur sa lancée : "Elle séduit, elle utilise
la ruse plutôt que la force pour parvenir à ses fins. Elle
est incapable de raconter une blague sans en révéler d'abord
la fin. Elle est bavarde mais ne tient que des propos superficiels.
Sans arrêt, elle cause des problèmes énormes aux
Schtroumpfs, mais s'arrange pour dire que c'est la faute à quelqu'un
d'autre..." J'ai essayé tant bien que mal d'atténuer
la tonalité misogyne de cette description, mais un de nos interlocuteurs
lui a demandé : "Elle est tout de même capable, quand
les Schtroumpfs sont en danger, de prendre une décision qui pourra
les sauver ?" Quand j'ai traduit cette question à Peyo,
il m'a regardé éberlué : "Dis donc, ils ne
veulent quand même pas en faire une prof de gym ?" Je n'ai
évidemment pas traduit cette remarque."
Gersende
Bollut

Images
issues de la série TV d'Hanna-Barbera
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"Peyo
eut deux modèles : Hergé et Walt Disney. Du premier, il
admirait le génie narratif, du second, la réussite internationale.
Etonnamment, sa carrière réussira la synthèse de
ces deux influences"
Hugues
Dayez
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