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Le
cinéma des frères Quay
Un monde aux apparences trompeuses, fait de faux-semblants, d'images qui tressautent, de bric et de broc, source d’autant de fascination que de malaise. Un univers baroque, raffiné, poétique, parfois d'une opacité déconcertante, parfois d'une évidence lumineuse, gorgé d’influences littéraires, cinématographiques et musicales diverses, hypnotique et dérangeant. Voilà ce à quoi nous convient deux génies du cinéma d'animation, Stephen et Timothy QUAY. Un homme sans visage laisse tomber une paire de gants sur le sol. Il s'assied, dénoue ses lacets, enlève sa chaussure, sa chaussette, pour dévoiler une jambe postiche. Ce sont des images en noir et blanc, "fantômes", ralenties, saccadées, comme une bande VHS sur pause, persistant en surimpression d'un bloc de photogrammes à l'autre. Cette scène éthérée, extraite de The Phantom Museum, court-métrage inédit de Stephen et Timothy QUAY encore en cours de montage, est une voie d'accès possible au monde marginal des jumeaux américains. Une voie parmi tant d’autres. Au fil d’une filmographie longue de près de trente titres, Stephen et Timothy QUAY se sont inventés un langage propre, chorégraphique, fait de signes, de détails et de gestes mécaniques, complètement ouvert à l'analyse et refusant frontalement les règles du cinéma dominant. Prétendre à l'exhaustivité s'avérant relever de la gageure, nous avons pris le parti de réaliser dans un premier temps une approche globale de l’œuvre des "Brothers Quay" (comme la critique aime à les appeler), avant de nous pencher plus en détails sur une sélection de trois courts-métrages et d'en dégager les effets produits sur le spectateur.
Sur l'escalier qui mène aux Koninck Studios, la légende veut qu'une voisine superstitieuse ait gravé "evil twins" (= jumeaux démoniaques), apeurée par les activités peu catholiques des frères QUAY. Nés à Norristown (Pennsylvanie) en 1947, Stephen et Timothy sont en effet de vrais jumeaux, quasi-identiques. Après avoir étudié aux Beaux-arts de Philadelphie, ils émigrent à Londres, à la fin des années 70, où ils intègrent le Royal College of Art, et y réalisent leurs premiers films d'animation à base de marionnettes. Récompensés pour Nocturna Artificiala, il fondent en 1980 leur propre studio, soutenus pour le producteur Keith GRIFFITHS. Depuis lors, dans cet atelier du Sud de Londres, où les "acteurs" matériels de leurs films se superposent en strates comme des vestiges archéologiques, ils couchent sur pellicule un large éventail d'œuvres dont évidemment leurs animations de marionnettes, mais encore des documentaires culturels, des interludes graphiques pour des diffuseurs ou des publicités de télévision. Leur filmographie comprend également des documentaires sur Puch et Judy, STRAVINSKY, JANACEK, Jan SVANKMAJER, l'art de l'anamorphose ainsi que des films inspirés de l'œuvre littéraire de Michel de GHELDERODE, KAFKA, Bruno SCHULZ et Robert WALSER. Ils ont aussi conçu les décors des productions de théâtre et d'opéra du directeur Richard JONES : L'Amour des trois oranges de PROKOFIEV, La Puce à l'oreille de FEYDEAU, Mazeppa de TCHAÏKOVSKI et Le Bourgeois Gentilhomme de MOLIÈRE. Néanmoins, hors des circuits économiques classiques, les frères ne vivent que difficilement de leur art, peu sollicité par les médias. "Les petits projets arrivent à passer, mais pas question d'aller voir Channel 4 avec un projet d'animation de vingt minutes, quelque chose qui nous plairait vraiment. Nos tiroirs sont pleins de projets, mais on ne peut pas les lancer, car ils ne sont pas considérés comme des projets importants. […] On ne peut même pas courir après des commandes, il n'y en a pas. […] Il n'y a presque rien pour l'animation. Et la pub ne marche plus depuis le 11 septembre ; tout le monde est devenu conservateur, se protège. Ce n'est pas une bonne période pour l'animation", déplorent-ils amèrement. Pourtant, en une vingtaine d'années, ils se sont révélés comme les maîtres de l'animation en miniature et sont devenus une source d'inspiration pour la génération montante (Fred STUHR, par exemple). Lorsqu'en 1995, leur premier film de long métrage, Institut Benjamenta, voit le jour (sorti en France le 23 février 2000), la critique tire unanimement son chapeau à l'inventivité des "Brothers". Télérama parle d'"éblouissante féerie visuelle en noir et blanc" et de "poème magistral", les Inrockuptibles de "conte onirique […] aux personnages aussi émouvants qu'énigmatiques", tandis que Terry GILLIAM lui-même le considère comme "le film visuellement le plus beau, le plus envoûtant et le plus drôle qu'[il ait] vu ces trois cents dernières années", et confesse : "Je suis très jaloux". Institut Benjamenta Qu'est-ce qui fascine tant dans l'art cinématographique de ce duo infernal ? Réalisés essentiellement à base de matériel de récupération, les films des frères déroutent, par leur surréalisme sombre, et frôlent parfois l'incompréhensible. Qu'importe cette difficulté d'accès, c’est la poésie intrinsèque aux œuvres des Brothers QUAY qui fascine, voire épouvante. "Les frères QUAY ont réussi de manière très personnelle à renforcer ces indispensables frontières qui séparent un certain cinéma d'animation des films pour enfants", affirme Jean-Baptiste Hanak. Reste à comprendre comment.
L'origine
des films d'animation des frères QUAY, en dépit de leur
diversité, est invariablement d'ordre sensoriel. Le sens visuel,
évidemment, prévaut, mais il n'est pas exclusif. A la
différence du cinéma en prise de vues réelles et
du cinéma d'animation sur celluloïds, l'animation
image par image nécessite une intervention tactile, physique,
avec les "acteurs". Le toucher –ou en tous cas l'impression
du toucher– s'avère de fait primordial dans le cinéma
des frères QUAY. L'objectif premier des jumeaux est de faire
ressentir le volume, les aspérités et la texture des objets
mis en scène. D'où la sensation fréquente de se trouver face à un musée des monstres façon Tod BROWNING, un inventaire d'objets humides, sales, en décomposition, biscornus, cassés ou poussiéreux, qui par leur présence même éveillent diverses sensations. "Ce n'est pas ordonné. C'est le hasard qui nous fait rencontrer un projet. Je crois que c'est parfois le fait que cet objet est isolé au milieu d'autres objets étranges qui provoque un déclic dans notre sensibilité. Souvent on se tourne l'un vers l’autre et on se dit : 'Voilà !'. Il est là, il nous raconte une histoire ou nous propose une histoire future, ce n'est pas forcément immédiat. Alors on l'achète et on le met sur une étagère en attendant qu’il nous propose quelque chose. Parfois, c'est forcé, on n'acquiert pas une créature parfaite, aux proportions parfaites. En général elles sont difformes. On préfère. Boiteuses, mais elles boitent admirablement. D'un côté, c'est très beau". C'est l'étrange manège de ces vis tordues, de ces marionnettes disloquées, de ces poupées mutilées et de ces rouages rouillés qui au premier chef donne leur atmosphère vaporeuse aux films des frères QUAY. C'est la vie après la vie de ces objets de récupération qui subjugue et transporte le spectateur. D'un point de vue strictement technique, le cinéma des frères QUAY est aussi méticuleux que ce qui est filmé. "Nous n'avons pas d'équipe à nos côtés comme certains studios d'animation qui travaillent à sept ou huit. Nous pensons qu'il est beaucoup plus simple de travailler tous les deux pour des raisons de temps et d'idées. Nous pouvons ainsi prendre la décision de tout démonter pour refaire un plan". Ce qui ne signifie pas pour autant que la technique des Brothers QUAY soit minimaliste. Au contraire, avec plus de vingt ans de métier derrière eux, les jumeaux ont su évoluer avec leur art et rester en quête perpétuelle de nouvelles sensations visuelles, gardant en tête le souci constant de les considérer comme des outils et non comme une fin en soi. "La publicité […] nous a permis d'explorer un peu la technologie numérique, les effets… Si on s'en sert dans nos films, ce sera invisible, on ne veut pas que ce soit criant, il faut que ce soit intégré au contexte". En témoignent leurs travaux sur la technique de l'anamorphose* menés sur De Artificali Perspectiva or Anamorphosis, qu'ils exploitent désormais afin de donner une nouvelle dimension à leurs films (In Absentia est projeté en Scope, avec une lentille anamorphique, Rehearsals for Extinct Anatomies profite aussi de ce procédé et les frères QUAY souhaitent qu'il en soit également de même pour Street of Crocodiles). Aussi, si la diffusion des œuvres des frères QUAY est faible et se fait souvent par le biais de la télévision, les films ont avant tout été pensés pour être diffusés sur un écran de cinéma : "Lorsque vous regardez une marionnette à la télévision, vous quantifiez la taille de la marionnette en tant que marionnette. Elle est effectivement haute de six pouces, parfois un peu moins. Lorsqu'elle apparaît sur un grand écran, vous trahissez cette échelle. Mais soudainement vous gagnez, parce que la marionnette prend une dimension humaine, parfois même elle est plus grande. Sur un grand écran, un objet vu en plan rapproché est encore plus déconcertant, et c'est très puissant et très beau. Le visage du spectateur se trouve encore plus collé à cet objet. Vous voyez une pointe de crayon, une jointure, magnifiée, et c'est surprenant". On retrouve ainsi cette obsession du détail, de la viscosité des textures captée par la pellicule déjà évoquée. "Cette présence est une chose qu’il faut voir et sentir. Le 35mm est merveilleux pour ça". Si la vue et le toucher sont au premier rang du cinéma des frères QUAY, l'ouïe n'est pas non plus en reste. La musique et les bruitages complètent en effet les films et achèvent de leur façonner une atmosphère. Mais nous y reviendrons. A ce stade, en tout cas, on peut se demander si l'art cinématographique des Brothers QUAY relève de la seule expérience sensorielle.
Le sens de la plastique symbolique et énigmatique des jumeaux QUAY, s'il est au cœur de leur cinéma, ne se suffit toutefois pas à lui-même. En effet, s'ils admettent leur "fascination pour les machineries fabuleuses", les frères n'en revendiquent pas pour autant la paternité et confessent volontiers que "tous ces appareils incroyables (poulies, treuils…) sont sortis de l'imaginaire de créateurs utopistes, à l'exemple de ces machines virtuelles décrites par Raymond ROUSSEL dans Locus Solus. D'ailleurs, nous rattachons notre travail à la tradition des automates, et l'animation nous a, pour ainsi dire, permis de refaire fonctionner leurs rouages". La filmographie des Brothers QUAY repose donc sur un gigantesque réseau d'influences où se croisent BERGMAN, PARADJANOV, DOVJENKO, BALDINE, FRANJU, BOROWCZYK (qui œuvra aussi dans le domaine de l'animation), ou encore TARKOWSKI. "Ce sont tous des poètes qui ont ce sens du langage des images qu'on retrouve dans l'animation, et pour qui le scénario n'est pas la clé de voûte d'un film". Minés par un sentiment proche de la culpabilité d'être nés aux Etats-Unis, les jumeaux cherchent en un sens à se racheter de leurs origines en revendiquant une appartenance culturelle à l'Europe : "Notre pays nous semble terne. […] En Amérique, il y a tant de choses grossières, prétentieuses et stupides, insulaires ! […] Pour nous, être ici, en Europe, est une immense source d'inspiration. D'une manière ou d'une autre, on n'est pas nés au bon endroit, mais nous nous sommes toujours tournés vers l'Europe et nous avons trouvé notre inspiration dans ce contexte". L'une des références majeures des cinéastes n’est autre que le tchèque Jan SVANKMAJER*, à qui ils destinèrent un documentaire en 1984, compte pour beaucoup dans l'art des frères QUAY. Muse de cinéastes tels que Tim BURTON, le monde de pâte à modeler et d'objets hétéroclites de SVANKMAJER, tout à la fois fantastique, inquiétant et drôle, fortement empreint de surréalisme étrange et morbide, fait irrémédiablement penser à un Street of Crocodiles, par exemple. Néanmoins, les frères QUAY se détachent de SVANKMAJER par bien des points. En effet si, à l'image du réalisateur de Dimensions of Dialogue (1982), les films des jumeaux prennent place dans des mondes âpres et encrassés, l'approche personnelle, qu'on pourrait qualifier de romantique, voire de gothique, en tout cas de baroque, de ces univers en rend l'appréhension différente. Ainsi, là où SVANKMAJER se contente de penser ses films en terme de design et laisse d'autres animer à sa place, les frères QUAY s'investissent tout au long de leur production. D'un autre côté, là où SVANKMAJER s'applique à respecter une trame onirique mais construite, l'intrigue des films des jumeaux est souvent réduite au minimum, reste ouverte à toutes les interprétations et se résume parfois à une ambiance (voir les Stille Nacht). Lekce Faust de Jan SVANKMAJER Pourtant, il serait erroné de considérer, du moins pour ce qui est de la démarche et de la volonté des cinéastes, les films des frères QUAY comme des objets non-sensiques. En effet, outre les références cinématographiques citées ci-dessus, de nombreuses influences littéraires sont revendiquées par les jumeaux. "C'est dur à définir, mais quand on avait 19 ans, à la bibliothèque, on lisait des magazines… Les journaux graphiques du lycée, et le nom de KAFKA y était mentionné. Il y avait même un poster 'kafkaïen'. On a demandé au bibliothécaire ce que ça signifiait : 'Regardez dans le dictionnaire.' Il n'y avait rien dans le dictionnaire. Maintenant, ça y est sûrement. Et, le jour-même, nous avons découvert KAFKA à la bibliothèque. C'est comme une constellation qui s'est ouverte à nous". Jamais cette influence ne se reniera tout au long de l'œuvre des frères QUAY. L'art de KAFKA, épistolaire, intimiste et énigmatique, entre en effet en parfaite adéquation avec la filmographie très personnelle, codifiée et maniérée des jumeaux. "Notre approche de KAFKA a toujours été informée par ce que nous avons découvert en premier, c'est à dire son Journal. Et ce qui nous avait complètement fascinés, c'était ce côté inachevé, la qualité fragmentée de son écriture. Comme le début d'une idée, ou d'un thème qu'il avait abandonné. Il nous a toujours semblé que dans ces fragments se trouvaient des constellations qui vibraient, qu'ils étaient complets dans leur inachèvement. Vous n'avez pas à en savoir plus, puisque vous sentez qu'un petit bout de vie à été arraché et que sa texture est là". D'autres auteurs, tels que WALSER et SHULZ, semblent appartenir à cette même famille artistique et servent en conséquence de "réservoir psychotique" aux frères, qui adaptèrent certaines de leurs œuvres sur grand écran*. "C'est une approche très intimiste. Et c'est cela que nous aimons. Ils n'essaient pas d'écrire de manière grandiose, ce qui nous intimiderait". Les Brothers QUAY admirent également HOFFMANN, dont le célèbre conte Le Marchand de Sable leur a inspiré The Sandman en 2000. Face à un tel tissu de références (auxquelles on pourrait ajouter de nombreux grands noms, à commencer par DALI, BUNUEL ou encore MICHAUX), il serait aisé de chercher à coller une étiquette, la plus évidente étant sans doute celle du surréalisme, école dont relève et pour laquelle milite d’ailleurs SVANKMAJER. Mais ce serait courir le risque d'être réducteur. Car les frères revendiquent leur liberté, leur non-appartenance à tel ou tel groupe qui validerait ou non leur travail. C'est donc avec ferveur qu'ils aiment à affirmer : "Nous ne militons pas pour le surréalisme. […] Ce qu'on fait est essentiellement de la poésie. Tous les cauchemars sont surréalistes. Nos rêves, eux, restent ouverts et peuvent, oui, être perçus comme surréalistes".
Le cinéma des jumeaux QUAY tend donc à un pluralisme artistique volontaire et revendiqué. Porter à l'analyse trois de leurs œuvres, tirées d'époques différentes, permet d’en témoigner. Commençons par les présenter :
A l'origine, Rehearsals for Extinct Anatomies devait être une adaptation de trois scènes de KAFKA. Pour des raisons peu claires, le projet est finalement devenu l'adaptation d'une gravure de FRAGONARD, dans laquelle l'artiste s'est représenté lui-même en train de peindre Le Verrou. Cette réduction du champ littéraire au champ pictural eut évidemment des répercussions sur le scénario du film. Si bien qu'en faire une description narrative relève de la gageure. Néanmoins, il paraît nécessaire, autant que faire se peut, de raconter ce film, si tant est que l'on puisse véritablement raconter ce qui relève du fantasmagorique. Au cœur de ce court-métrage se trouve une hideuse marionnette, entre squelette et carcasse métallique, triturant sans relâche une bosse sur sa tête, ce qui semble déclencher sur différentes créatures (un compas, un couple de lépreux) des réactions plus ou moins inexplicables. Et d'après ce que l'on croit comprendre de ce magma de gros plans flous et de mouvements désordonnés en stop-motion, à base de fils de fers, de poupées articulées et de rouages mécaniques, il s'agirait pour le personnage principal d’empêcher des intrus de pénétrer chez lui. On croise donc plusieurs motifs visuels, tels que des papiers griffonnés, qui semblent être des partitions, un ventilateur, divers tissus… L'élément central du film semble être une boule blanche virevoltante, échappée de Stille Nacht II, dont la caméra semble épouser le périple. On la voit, entre autres, rebondir sur des escaliers suivant une physique de moins en moins crédible, se transformer en bobine, redevenir une boule blanche lisse, puis défier la gravité en vibrant en l'air, frénétiquement, passer devant la caméra, s'agiter dans tous les sens, se métamorphoser un temps en humanoïde de fortune... On aperçoit également, entre les pales du ventilateur, des mains métalliques, un buste, une marionnette qui se retourne dans son lit, puis par un changement de focale la partie haute du corps de cette marionnette, dont on discerne enfin le visage. Et tout cela sans réelle continuité. La pellicule saute, l'image se déconstruit, se reconstruit, des bandes noires et blanches apparaissent, se fractionnent, s'additionnent, se réduisent… Au détour d'un mouvement de caméra, on distingue un plan étrange sur quelque chose qui est mouvant et qui s'approche autant d'une paire de testicules que d'un fœtus dans une poche pleine de liquide amniotique. Le cadre quant à lui est constamment changeant. Les mouvements circulaires succèdent aux balayages et vice-versa, des caches obstruent l'image, des fondus les noient les unes dans les autres, la caméra bouge, les plans se font très serrés, l'image est souvent floue, parfois accélérée, etc. Bref, on comprend difficilement ce qui se déroule et on a tendance à se raccrocher à l'univers sonore, qui apporte un semblant de cohésion au tout.
"Street of Crocodiles est une plongée sans filet dans un mini-monde, une espèce de ville mécanique où règnent la poussière et la solitude. Le personnage central, qui emprunte les traits d'un homme d'âge mûr, est une marionnette libérée de ses cordes partant à la découverte de ces lieux abandonnés. Son drame, c'est qu'il sera confronté à une bande de petites poupées, chauves et androgynes, qui se feront un plaisir de le malmener", résume Jean-Baptiste Hanak. Adapté du livre Ulica Krokodyli de l'écrivain polonais Bruno SCHULTZ, Street of Crocodiles semble être en effet l'un des films les plus intelligibles des frères QUAY. Son cheminement narratif répond en tout cas à une trame narrative beaucoup plus cohérente que celle de Rehearsals for Extinct Anatomies. Dans cet espèce de petit conte noir, l'une de ces fameuses poupées sales des frères QUAY parcourt donc d'étranges labyrinthes, au détour desquels elle croise une cohorte de marionnettes démembrées, aux crânés évidés, aux globes oculaires vides, qui s’emparent de lui et lui font subir d’étranges outrages. Street of Crocodiles Ces poupées toutes semblables, engoncées dans des costumes excentriques, menant un ballet infernal au rythme de la musique, commencent donc par la décapiter pour remplacer son visage par la même tête inexpressive qu'elles-mêmes arborent. Elles entreprennent ensuite de la bourrer de coton et de la costumer à leur manière, jusqu'à ce qu'elle soit entièrement remodelée à leur guise. Ce "fil" narratif, auquel le spectateur peut se rattacher plus ou moins aisément, est soutenu par une technique d'appréhension plus évidente qu'à l'accoutumée, avec des travellings accompagnant les mouvements, et des compositions de cadre moins complexes et plus lisibles que dans The Comb (From the Museums of Sleep), par exemple. Les photogrammes n'en sont pas pour autant "propres", la pellicule continue de sauter et certaines images d'être décadrées. Mais, dans l'ensemble, Street of Crocodiles reste un film relativement accessible.
La série des Stille Nacht est constituée de cinq volets. Le premier est un jingle pour MTV ; le second est un clip, intitulé Are we still married, pour la formation musicale britannique His name is alive ; le troisième, un court-métrage répondant au nom de Tales from Vienna Woods ; le quatrième, un autre clip pour His name is alive, intitulé Can't go wrong without you ; et le dernier en date, Dog Door – Sparklehorse, un court-métrage porté par la musique de Tom WAITS. Les quatre premiers de ces cinq films expérimentaux en noir et blanc possèdent le même charme et fascinent par le style de mise en scène, par la perfection des animations et par ce goût troublant pour la pourriture, la poussière et les matières en décomposition évoqué plus haut. Cela pourrait être morbide, mais ça n'est jamais repoussant. Au contraire, il naît de tout cela une beauté et une poésie qui peut surprendre d'un premier abord, mais qui finit imperceptiblement par captiver. De ce quintet de films, nous avons choisi d'extraire le dernier, qui détonne dans la série, et nous semble être représentatif d'un aspect de l'art des frères QUAY assez éloquent pour ce qui est de l'analyse. Mais avant de nous atteler à cette dernière étape, procédons à une première approche. Si les quatre premières "nuits paisibles" forment une architecture plus ou moins homogène, où un lapin grisâtre et une poupée de petite fille dansent au rythme de musiques douces et surannées, Dog Door – Sparklehorse marque une rupture dans cette continuité. Le lapin, tout d'abord, est évincé du film, remplacé par un chien anthropomorphe d'apparence moins enfantine. La trame, ensuite, est assez simple : la jeune fille des premiers Stille Nacht a grandi et sa sexualité s'éveille. Elle est donc allongée sur son lit, la poitrine nue, les jambes écartées de façon à découvrir sa culotte blanche sous sa jupette. Son corps est animé d'un mouvement de va-et-vient équivoque. Sur le pas de la porte, le chien contemple ce spectacle lascif et se masturbe, langue pendante. Furtivement, ses pensées s'égarent et il s'imagine faisant l'amour avec la jeune fille, mais se retient jusqu'à un fondu au noir, un carton proclamant : "On n’est jamais trop jeune pour être débauché(e)" et un gros plan final sur la culotte de la jeune fille. Techniquement moins ambitieux que les quatre premiers films, Stille Nacht V se révèle beaucoup plus simple visuellement que ses aînés. Le choix des angles manque d'audace (successions de plans serrés et de plans larges) et semble d'un certain point de vue esclave de la musique (ce n'est que lorsque la musique s'emballe que quelques fantaisies graphiques se font jour, tels que des flous, des images tremblantes, ou des effets de transparence).
Pénétrer dans l'œuvre des frères QUAY via Rehearsals for Extinct Anatomies relève à la fois de l'impasse et du tremplin. Impasse dans le sens où ce court-métrage est d'une complexité qui peut se révéler désarmante. Tremplin parce que si l'adhésion à cet univers extrêmement codifié se fait avec ce film, le reste de la filmographie a des chances de fonctionner sans entraves. Cela
nécessite un travail du spectateur sur lui-même. Il lui
faut accepter de reconsidérer sa relation avec le dispositif
cinéma, admettre de ne pas détenir nécessairement
les clés essentielles à la compréhension du film,
et tenter de détourner ce manque. Le spectateur n'est donc pas
passif face à du divertissement comme il peut l'être devant
un film traditionnel, mais actif, interloqué, intéressé
ou révolté. Ce que les frères QUAY affirment sur
leur prochain film, destiné à être projeté
dans le cadre d’une exposition, à savoir que confrontés
à The Phantom Museum, "les spectateurs seront soit scandalisés,
et ils s'en iront, soit intrigués, et ils poursuivront leur visite",
vaut tout autant pour Rehearsals for Extinct Anatomies. C'est au spectateur
de décider s'il accepte que ces images et ces sons s'imposent
à lui ou s'il désire tenter de les décoder, voire
tout bonnement les négliger. On peut également se contenter de se référer à la gravure à l'origine du film, démarche éminemment moins lourde. Seulement cette seule image ne suffit pas à l'appréhension du court-métrage par reproduction de la démarche filmique. "C'est ambigu de tourner un film à partir d'une gravure […] qui est une chose plate : il n'y a pas d’avant ni d'après, pas de continuité comme dans la biographie (Le Cabinet de Jan Svankmajer) ou l’adaptation littéraire (Street of Crocodiles). Notre imagination doit totalement interpréter chacun des signes diffus qui émanent de l'œuvre. Initialement, c'est la gesture de FRAGONARD qui nous a frappé : il y a cette main qui va vers une apparition. Ça nous a incité à la traduire en termes cinématographiques". Cette approche, parce que répondant à des critères personnels d'ordre sensible, n'est donc pas entièrement satisfaisante. Mais elle n’est toutefois pas à négliger. Se tourner vers la gravure de FRAGONARD, ou vers quelque autre substitut culturel, c'est tenter d’ajouter une pièce au puzzle, que l'on complète par son propre savoir, sa propre culture, et sa propre sensibilité face au court-métrage. Il ne s'agirait alors plus de rechercher le sens absolu du film, mais laisser libre cours à son intuition ; de se réapproprier le film. Ce qui revient en ce sens à interroger l'activité de création cinématographique en tant que telle. De fait, que l'on connaisse ou non les travaux de FRAGONARD, Rehearsals for Extinct Anatomies redessine la mise en abyme constitutive de la gravure. A la différence que si Fragonard interrogeait la genèse de la peinture, les frères QUAY interrogent celle du cinématographe. Toute la matière visuelle se charge alors d'un sens particulier. Ces plans flous sur ce que l'on a cru être des partitions griffonnées ne nous montraient-ils pas un scénario en train de naître ? Cette analyse devient dès lors plausible et transforme le film en métatexte. Lorsque la boule se transforme en une bobine de fils noirs entremêlés, il est tout à fait possible d'y voir une bobine de film, amenée à être projetée sur une surface lisse et blanche. La manière dont cette boule blanche recelant en son sein la pellicule vibre devant l'objectif, de plus en plus indistinctement, jusqu'à former une image fixe, qui va doucement s'animer, peut symboliser une renaissance du cinéma. La pellicule qui saute, l'image qui se déconstruit, qui se reconstruit, l'apparition de bandes noires et blanches (pellicules) qui se fractionnent, s'additionnent et se réduisent serait une métaphore du travail du monteur, etc. Il y a dans l'image un sens à venir que l'analyse fait advenir. On pense à l'ouverture de Mon Oncle d’Amérique d’Alain RESNAIS, son amas d'images fixes d'abord mêlées, puis montées et enfin animées. Quant à cette image fœtale, elle tombe à point nommé au cœur de cette naissance du cinéma, que la technique accompagne. On trouve le clignotement du projecteur entre les vibrations de la boule mais aussi entre les pales du ventilateur, derrière lesquelles apparaissent les mains du cinéaste, qui façonne un monde par ce prisme. Le bipède formé par l'entremêlement des bobines est l'aboutissement de ce travail de création, d'assemblage. Un autre plan est très révélateur, puisqu'on y découvre une fenêtre blanche sur un mur, symbolisant l'écran, qui devient flou et à l'intérieur de laquelle la boule blanche originelle (dont on verra par la suite le reflet sur un verre de lunettes), le film, refait son apparition, désignant le cinéma comme perpétuelle renaissance. Il est en conséquence tentant de se rallier à l’analyse de Raphaël Bassan, selon laquelle "les thèmes principaux qui habitent les œuvres des QUAY tournent toujours autour de l’angoisse existentielle dans ses rapports à la geste créatrice". Si l'on se tourne vers Street of Crocodiles, on peut y voir les mêmes motifs, énoncés de façon plus claire encore. Ainsi, en marge du "fil narratif" relatif déjà évoqué, plusieurs codes graphiques du cinéma se font jour. On a déjà parlé de pellicule qui saute de manière ostensible, décadrant volontairement les images (on pense évidemment au célèbre Film Cassé de TEZUKA, dont les "accidents" techniques –saletés sur la bande, pellicule décalée, projecteur enrayé– constituaient les "péripéties" du scénario -voir la chronique complète de Frames). A noter également, cette valse des poupées menées par une sorte de chef d'orchestre central, qui agit sur le placement des "acteurs", le mouvement des caméras et la musique comme un metteur en scène sur son film. On peut aussi évoquer les aiguilles qui lient les tissus entre eux tout comme le monteur colle les chutes de pellicules. On retrouve cette métaphore plus loin, avec les bobines de fil enroulées, classées, rangées, triées comme des pellicules. Le "monteur" en choisit un, l'ajoute à une couverture multicolore, suivant un "plan" précis, avec force gros plans sur une paire de ciseaux. La conclusion de ce petit manège, très organique, surprend. En effet, le "film" ainsi constitué devient un bout de viande rouge, matière à la fois vivante et morte, qu'on recouvre de parures factices, qu'on habille, qu'on déguise avec ce qu'on veut.
Si la force visuelle des films des frères QUAY n'est plus à discuter, son impact n'aurait pas cette amplitude sans l'apport de la musique, qui joue un rôle fondamental. A tel point que Karlheinz STOCKHAUSEN, l'illustre auteur de musique contemporaine, a même composé une pièce pour leur film sur la folie, In Absentia. "L'histoire est complétée quand la musique finit", déclarent-ils. "La musique est le dialogue". Outre son apport évident sur l'ambiance, sur l'atmosphère générale, la musique révèle parfois des choses, ou amplifie certains effets. Sur Rehearsals for Extinct Anatomies, par exemple, c'est la musique de Leszek JANKOVSKI, artiste polonais qui collabora à plusieurs reprises avec les frères, qui débloqua le projet, englué, comme déjà évoqué plus haut, dans des intentions kafkaïennes. La musique, avec ses rythmes, ses temps forts et faibles, ses reprises ou ses échos, permet ainsi de combler les creux du scénario, en construisant une continuité close à l'intérieur duquel le film peut se déverser. "Nous partons toujours d'un scénario très souple. Une sorte de canevas général. Une fois que le film est en chantier, nous construisons des décors, nous divisons à nouveau le scénario, nous commençons à véritablement écouter la musique. Et le film prolifère organiquement comme ça. Nous commençons à filmer, et les rushes nous arrivent le lendemain. Nous étendons le film sur la musique et nous tentons de voir si cela fonctionne. Si ça ne fonctionne pas, nous filmons à nouveau. Et ça avance de cette manière-là, jusqu'au bout". La musique participe donc de la genèse empirique des films des jumeaux, la soutenant dans sa progression tâtonnante. Une manière pour les frères de décliner leur art sur des voies nouvelles : "Nous préférons obéir à des lois musicales, parce qu'elles ne sont pas logiques. Il n'est pas possible d'imprimer de la logique sur de la musique […]. C'est comme ça que nous travaillons. Un chorégraphe travaille de la même façon. Vous travaillez avec la musique. C'est bien plus corporel, sensuel, avec une marionnette ou un danseur. Vous sentez la musique à même les choses. STOCKHAUSEN disait, à propos de la pièce qu'il avait composée, que les images sont la musique […]. Il y a une sorte d'infiltration. La musique de films atteint sa plus grande efficacité quand cela arrive. Pour le savoir, il faut le sentir". C'est ainsi que la musique nourrit son sujet et inversement. D'où l'impression diffuse qui se dégage des films des frères QUAY, qui laisse presque à penser que ce qui est filmé ne peut exister sans la bande-son, et vice-versa. Sur ce point, André Habib semble dire vrai, lorsqu'il affirme que "dans un sens, la musique est produite par les objets et en même temps, elle produit les objets". L'ambiance sonore choisie entre donc en résonance avec les objets filmés. Aussi, tout comme les Brothers QUAY affirment vouloir "créer un monde vu à travers une surface en verre sali", les musiques pour lesquelles le duo opte sont composées de plusieurs couches "grasses", au grain acoustique épais et dont on ressent la texture, les aspérités, les petits défauts, les échos en forme de murmures, de rumeurs… Il est d'ailleurs intéressant d'entendre de la bouche des frères l'anecdote suivante : "Quand LESZEK enregistrait sa musique, il plaçait toujours ses micros très près des musiciens, de façon à ce qu'on puisse entendre les bruit des ongles, et même la saleté en-dessous des ongles, pinçant les cordes du violon ou de la guitare. Et nous aimions ça. Nous aimions le fait qu'ils aient une texture qui ne soit pas trop propre, polie". Les clips de la série Stille Nacht sont dans cette lignée. Dans le dernier volet, par exemple, la statique caractéristique d'un poste de radio ou d'une aiguille sur un disque vinyle, a une réelle densité, qui semble faire partie de l'univers capturé par la caméra. Les bruitages agissent d'ailleurs dans le même sens. Dans Street of Crocodiles, par exemple, une étrange machine produit un souffle régulier, autour duquel se déploie tout l'univers capturé par la caméra, comme si c'était son cœur qui battait et imprimait le rythme général du film. Quant au thème de la danse, évoqué plus haut, il a également son importance dans les films des Brothers QUAY. Non seulement la musique colle au déroulement des courts-métrages, décidant par exemple dans Dog Door – Sparklehorse de l'irruption des effets graphiques, mais la mise en scène elle-même semble portée par une certaine mélodie. La lumière danse en permanence, les "acteurs" bougent comme des automates, sur une chorégraphie précise, répondent à un chaos ordonné. "L'effet de nos films, pour une part, est du à un assemblage de rythmes. Il y a une 'musicalisation' [musicalization en anglais] de l'espace qui est très importante pour nous. Pour nous, l'espace est très important, et aussi la lutte de cette marionnette contre cet espace". Une caractéristique qu'on pourrait imaginer héritée de la collaboration des frères à l'organisation de ballets, mais qui fait cependant plus qu'influer sur le travail des jumeaux. "Un chorégraphe travaille de la même façon. Vous travaillez avec la musique. C'est bien plus corporel, sensuel, avec une marionnette ou un danseur. Vous sentez la musique à même les choses […]. Ce que nous aimons, c'est la manière qu'a la camera de devenir, ou d'exprimer la subjectivité d'un personnage autre. C'est en observant la danse qu'il est possible de réaliser qu'un monde peut être exprimé à travers un geste, un décor (un peu comme dans le cinéma muet), la musique, le regard. Il faut lire, interpréter le ballet. Il n'y a pas de dialogue et ceci nous fascine. La manière dont un chorégraphe s'approprie un espace abstrait est aussi très excitante. Il y a beaucoup de choses à apprendre de cela". Tout ceci ajoute à l'atmosphère vaporeuse des courts-métrages, et est partie intégrante des films. Elle peut aussi les sauver de l'obscurantisme.
Codifié, élitiste, difficile d'accès, le style des frères peut facilement se heurter au mur de l'incompréhension et du rejet. Pourtant, paradoxalement, c'est encore quand il est le moins accessible que l'art des jumeaux QUAY se révèle être le plus excitant. On l'a vu avec Rehearsals for Extinct Anatomies, c'est quand il fait appel à l'imagination du spectateur que ce type de cinéma dévoile sa richesse. C'est devant l'opacité d'un film que l'effervescence de la recherche de sens, même vaine, se découvre. Et si l'on peut se trouver frustré, découragé ou énervé face à objet aussi ambigu qu’un Street of Crocodiles, l'indifférence est étrangère au public des frères. L'évasion toute simple, dans un univers incohérent ou aberrant, est également possible. "C'est le privilège de ceux qui travaillent sur les fables. On peut comparer notre travail à celui d’un compositeur. Est-ce qu’on demande à BACH ce qu'il a voulu dire ?"... En offrant une telle ouverture d'analyse, un tel matériau vierge que la sensibilité de chacun peut travailler à sa guise, le cinéma des frères QUAY ne saurait être sujet à la sur-analyse. "C'est normal, puisque nous ne donnons pas de réponses, nous n'essayons pas de fixer un sens, en disant : 'Ceci est un symbole pour cela, etc.' Nous ne le savons pas très bien nous-mêmes, bien souvent. C'est l'avantage de proposer ou de suggérer du sens sur un plan où chacun peut apporter ses propres idées. Je ne sais pas. Au fond, c'est ce que nous voulons faire. […] Personne n'est obligé de savoir ce qui est quoi. Au bout du compte, il faut que cela fonctionne, que le film, au final, fonctionne". Il est d'ailleurs intéressant de constater qu’un film trop évident, trop facilement abordable comme Stille Nacht V, fonctionne moins bien que d'ordinaire. Au lieu d'effleurer la surface sensible des choses et de se contenter de faire passer des sensations par diverses textures sensorielles, les frères abordent ici leur sujet, pourtant délicat, trop frontalement. Si, isolément, le film reste un objet d'une bizarrerie peu commune, intégré à la filmographie des frères, Dog Door – Sparklehorse semble un peu "facile", plus proche du cinéma traditionnel et de sa fonction distractive. "C'est un morceau un peu idiot", admettent d'ailleurs les jumeaux, avant d'ajouter, " mais il a quelque chose tout de même". Ce quelque chose, c'est, dans le désordre, la musique de Tom WAITS, la "patte" QUAY, la sublime photo en noir et blanc, et bien sûr l'ambiance dérangeante propre au cinéma des Brothers, qui fait toujours son effet.
"Espaces claustrophobes, personnages énigmatiques, mains qui bougent, environnements inquiétants, surcharge d'objets et de matériaux les plus éclectiques", c'est par ces quelques mots que Raphaël Bassan résume le cinéma des frères QUAY. Et il est vrai qu'en dépit des multiples interprétations possibles de l'univers des jumeaux, on en revient toujours à cela : les objets, les textures, les détails. C'est peut-être là que se trouve la clé de la fascination du spectateur pour le cinéma en volume. "Dieu niche dans le détail", disait Aby WARBURG. Les films des frères QUAY, en rendant palpable la sensation étrange de voir des objets familiers, du quotidien, s'animer et mener une danse macabre, ouvrent la porte à un monde de fantasmes, de peurs primales et d'angoisses enfantines, dont les animateurs seraient les maîtres et semblent conforter cette affirmation. Guillaume Massart Le Cabinet de Jan Svankmajer (1984)
Filmographie Cette filmographie n'est sans doute pas exhaustive. En effet, selon les sources, la liste des films change. En outre, il faudrait y ajouter des clips et des publicités, ainsi que les premiers films détruits ou cachés par les frères QUAY, qu'on sait avoir existé, mais dont on ignore les dates de réalisation et même bien souvent les noms. -
Der Loop Der Loop [c.m.] (1970) Site officiel - http://www.awn.com/heaven_and_hell/QUAY/quay1.htm Principales sources des extraits d'interviews reproduits dans cet article : programme de l'Etrange Festival de 1996 ; Chronic'Art du 1er janvier 2000 ; Hors-Champ du 20 novembre 2001 ; émission La Nuit s'anime sur Arte du 17 décembre 2002. |
"Il
faut que le spectateur accepte de reconsidérer sa relation avec
le dispositif cinéma, d'admettre de ne pas détenir nécessairement
les clés essentielles à la compréhension du film,
et de tenter de détourner ce manque. |
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